mercredi 3 avril 2019

Expériences de pensée morales



Expérience 1
Imaginez un canot de sauvetage pris dans une tempête en pleine mer. À son bord, il y a quatre hommes et un chien. Tous les cinq vont mourir si aucun homme n’accepte d’être sacrifié, ou si le chien n’est pas jeté par-dessus bord. Est-il moralement permis de jeter le chien à la mer simplement parce que c’est un chien, sans autre argument ? Qu’en pensez-vous ?
Supposez, à présent, que ces hommes soient des nazis en fuite, auteurs de massacres de masse barbares, et que le chien soit un de ces sauveteurs héroïques, qui ont permis à des dizaines de personnes d’échapper à une mort atroce après un tremblement de terre. Est-ce que cela changerait quelque chose à votre façon d’évaluer leurs droits respectifs à rester sur le canot de sauvetage ?

Expérience 2
Scénario 1 
Vous foncez à l’hôpital aux urgences avec, dans votre voiture, cinq personnes très gravement blessées dans une explosion. Chaque minute compte ! Si vous perdez trop de temps, elles mourront. Soudain, vous voyez sur le côté de la route une personne victime d’un terrible accident. Elle saigne abondamment.
Vous pourriez la sauver elle aussi en la chargeant dans votre véhicule. Si vous ne le faites pas, elle va certainement mourir. Mais si vous vous arrêtez, vous perdrez du temps, et les cinq personnes que vous transportez mourront. Devez-vous vous arrêter quand même ? 

Scénario 2 
Vous foncez à l’hôpital aux urgences avec, dans votre voiture, cinq personnes très gravement blessées dans une explosion. Chaque minute compte ! Si vous perdez trop de temps, elles mourront. Mais soudain, vous voyez au milieu de la route un piéton qui traverse imprudemment. Si vous freinez vous allez déraper, perdre du temps, et les cinq personnes que vous transportez mourront. Si vous ne freinez pas, vous allez tuer le piéton. Devez-vous freiner quand même ?

Expérience 3
Vous passez par hasard devant un étang et vous apercevez un tout petit enfant qui s’y débat. Il est en train de se noyer. Ni parents, ni nounou, ni autre passant aux alentours, pour venir à son secours. Vous pouvez très facilement sauver sa vie. Il vous suffit de courir tout de suite vers lui sans prendre le temps de vous changer et de le ramener le plus vite possible vers la rive. Vous n’avez même pas besoin de savoir nager, car l’étang est vraiment peu profond et ressemble plutôt à une grosse flaque d’eau. Si vous y allez, vous risquez seulement d’abîmer les belles chaussures que vous venez de vous offrir et d’arriver en retard à votre travail. Ne serait-il pas monstrueux de laisser l’enfant mourir pour préserver vos chaussures neuves et éviter de vous mettre un peu de pression au travail ? Si vous répondez oui, vous devrez aussi répondre oui à la question de savoir s’il est monstrueux de laisser mourir de faim des enfants des pays les plus pauvres, alors qu’il vous suffirait de consacrer une partie infime de vos revenus pour les sauver. Il s’agit en effet de cas similaires qui appellent des réponses similaires.

Expérience 4
Scénario 1
Un chirurgien d’exception, spécialisé dans la greffe d’organes, se fait du souci pour cinq patients qui risquent de mourir très rapidement s’ils ne subissent pas une transplantation. Le premier a besoin d’un cœur, le deuxième d’un rein, le troisième d’un foie, le quatrième d’un estomac et le cinquième d’une rate. Ils sont tous du même type sanguin, très rare. Par hasard, notre chirurgien tombe sur le dossier d’un jeune homme en excellente santé qui est de ce type. Il ne lui serait pas difficile de lui causer une mort douce, puis de prélever ses organes et de sauver grâce à eux la vie de ses cinq patients.
Que doit-il faire : causer la mort du jeune homme ou laisser mourir les cinq autres48 ? »

Scénario 2
Le chirurgien d’exception est fatigué. Il prescrit par erreur un produit X à cinq patients, dont les effets terriblement négatifs sont cependant différents sur chacun. Chez deux d’entre eux, il atteint les reins. Chez un autre, le cœur. Chez le quatrième, le foie et, chez le cinquième, les poumons.
À cause de la négligence fatale du chirurgien, les patients ont chacun besoin d’une greffe d’organes d’urgence.
Si le chirurgien, qui est directement responsable de leur état, ne trouve pas d’organes à transplanter, il aura tué cinq patients.
Mais s’il sacrifie le jeune homme il n’aura tué qu’une personne.
Est-ce une raison suffisante pour donner au chirurgien la permission morale de sacrifier le jeune homme ?
N’est-il pas moins immoral de tuer une personne que cinq, tout bien considéré ? »

Expérience 5
Scénario 1 :
Un juge se trouve face à une foule de manifestants furieux exigeant qu’on retrouve l’auteur d’un meurtre barbare commis sur un membre de leur communauté. Faute de quoi, ils menacent de se venger en attaquant le quartier où réside une autre communauté qu’ils soupçonnent de protéger le meurtrier. Le juge ignore l’auteur du crime. Pour éviter le saccage d’un quartier de la ville et le massacre d’un grand nombre de ses habitants, il décide d’accuser une personne innocente et de la faire exécuter.
Est-il moral de le faire ?

Scénario 2 :
Un pilote dont l’avion va s’écraser se dirige vers la zone la moins habitée de la ville en sachant qu’il causera inévitablement la mort de quelques habitants, afin d’éviter d’en tuer un nombre beaucoup plus important.
Est-il moral de le faire 

Expérience 6
Le conducteur d’un tramway s’aperçoit que ses freins ont lâché alors qu’il fonce à toute allure dans un vallon encaissé. Sur la voie, devant lui, à une certaine distance, se trouvent cinq traminots qui font des travaux de réparation. Si la machine devenue folle continue sa course, les cinq traminots vont être inévitablement écrasés, car il n’y a pas assez de place sur les côtés de la voie pour qu’ils puissent se mettre à l’abri.
Cependant, par chance, la voie principale bifurque vers une voie secondaire étroite, juste un peu avant d’atteindre les cinq personnes. Le conducteur peut éviter de les tuer s’il détourne le tramway dans cette direction.
Mais, manque de chance, un autre traminot travaille sur cette voie secondaire. La situation est la même que sur la voie principale. Il n’y a pas assez de place sur les côtés pour que le traminot puisse se mettre à l’abri. Il sera inévitablement écrasé si le conducteur effectue sa manœuvre.
Le conducteur est donc confronté au dilemme suivant : ne pas intervenir et laisser les cinq traminots se faire écraser sur la voie principale ou intervenir en détournant le tramway, ce qui aura pour effet de causer la mort du traminot sur la voie secondaire.
Lui est-il permis moralement de détourner le tramway?

Expérience 7
Scénario 1 : Vous vous baladez le long de la voie de tramway quand vous êtes témoin de la scène précédente. Vous comprenez vite que le conducteur d’un tramway qui fonce à toute allure dans un vallon encaissé a perdu connaissance. Vous voyez les cinq traminots piégés sur la voie, qui seront inévitablement écrasés. Que faire ? Par chance, il y a tout près de vous un levier d’aiguillage. Si vous l’actionnez, le tramway sera envoyé vers une voie secondaire. Mais, manque de chance, un autre traminot travaille sur cette voie. Si vous actionnez l’aiguillage, le traminot sera inévitablement tué. Vous êtes donc confronté au dilemme suivant : ne pas intervenir et laisser les cinq traminots se faire écraser sur la voie principale ou intervenir en actionnant le levier d’aiguillage et causer la mort du traminot sur la voie secondaire.
Vous est-il moralement permis d’actionner le levier ?

Scénario 2 : Vous vous trouvez sur un pont piétonnier, quand vous voyez, sur la voie en contrebas, un tramway foncer à toute allure, et, de l’autre côté du pont, cinq traminots qui travaillent sur les rails. Vous comprenez immédiatement que le tramway ne pourra pas s’arrêter. Mais vous avez assez de connaissances en physique pour savoir que si un objet massif était jeté à ce moment-là sur la voie, le tramway s’arrêterait inévitablement. Or un gros homme, qui semble avoir le volume et le poids nécessaires, se trouve justement sur le pont piétonnier tout près de vous. Il est penché sur le parapet. Il attend pour voir passer le tram sans se douter de rien. Il suffirait d’une légère poussée sur le gros homme pour le faire basculer sur la voie.
Vous est-il moralement permis de le faire ?

Scénario 3 :  Un gros homme se trouve sur la boucle. En heurtant le gros homme et en provoquant sa mort, le tramway serait fortement ralenti, ce qui laisserait aux cinq traminots le temps de s’enfuir et de sauver leurs vies. Est-il moralement permis d’actionner le levier ?

Scénario 4 :  Un objet massif se trouve sur la boucle derrière un traminot. En heurtant l’objet, le tramway serait fortement ralenti, ce qui laisserait aux cinq traminots le temps de s’enfuir et de sauver leurs vies. Mais le traminot qui se trouve devant l’objet massif serait inévitablement tué. Est-il moralement permis d’actionner le levier ? 

Expérience 8
Julie et Mark sont frère et sœur et tous les deux majeurs. Ils passent leurs vacances ensemble dans le sud de la France. Un soir, alors qu’ils se retrouvent dans un cabanon au bord de la mer, ils se disent qu’il serait intéressant et amusant d’essayer de faire l’amour. Julie prend la pilule depuis quelque temps et les risques qu’elle tombe enceinte sont très faibles. Mais pour plus de sûreté, Mark se sert d’un préservatif. Ils prennent plaisir à faire l’amour mais décident de ne pas recommencer. Ils gardent pour eux le secret de cette douce nuit qui leur donne le sentiment d’être plus proches. Qu’en pensez-vous ? Leur était-il permis de faire l’amour ?

Expérience 9
Deux femmes prévoient d’avoir un enfant. La première est déjà enceinte de trois mois quand le médecin lui annonce une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que le fœtus qu’elle porte a une malformation, qui, même si elle n’est pas grave au point que la vie de l’enfant devienne misérable ou ne vaille pas la peine d’être vécue, va fortement diminuer sa qualité de vie. La bonne nouvelle est que cette malformation peut être facilement soignée. Il suffit que la mère prenne une pilule sans effets secondaires et l’enfant échappera à cet handicap.
La seconde voit son médecin avant d’être enceinte alors qu’elle est sur le point d’arrêter toute contraception. Dans ce cas aussi le médecin lui annonce une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est qu’en raison de son état de santé, si elle conçoit cet enfant dans les trois prochains mois, il aura un handicap important ayant le même impact sur la qualité de vie de l’enfant que dans le cas précédent. Ce handicap ne peut pas être traité. Mais la bonne nouvelle est que la pathologie de la femme est temporaire. Si elle attend trois mois avant d’être enceinte, son enfant échappera au handicap.
Supposons que la première femme oublie de prendre le médicament et que la seconde n’attende pas avant de tomber enceinte, ce qui fait que les deux enfants naissent avec exactement le même grave handicap. Les implications morales sont-elles identiques ? Ce n’est pas évident.
Le premier enfant peut dire à sa mère : « En ne prenant pas le médicament, tu m’as causé un tort. Ma vie serait meilleure si tu l’avais pris. » Mais le deuxième enfant ne peut pas dire : « En n’attendant pas trois mois avant de tomber enceinte, tu m’as causé un tort. Ma vie serait meilleure si tu avais attendu. »
Il ne peut pas le dire tout simplement parce que si sa mère avait attendu, il ne serait pas né du tout ! Une vie avec un handicap grave, mais pas misérable au point qu’elle ne vaille pas la peine d’être vécue, est-elle préférable à pas de vie du tout ?


Expérience 10

Vous vous réveillez un matin avec un inconnu dans le lit. Vous vous apercevez que tout un réseau de tubes vous connectent ensemble par le dos et que des fluides circulent dans ce réseau. On vous a branché un inconnu dans le dos pendant votre sommeil !
Comment ? Pourquoi ?
En fait, ce sont des membres de la société des amoureux de la musique qui ont tout organisé. Ils vous ont endormi, kidnappé, et ils ont convaincu des médecins de vous brancher à cet inconnu, car ils n’ont rien trouvé de mieux pour sauver sa vie. Il faut dire que l’inconnu est un violoniste absolument génial, atteint d’une très grave maladie des reins. Vous seul aviez le sang qu’il fallait pour nettoyer ses reins progressivement et c’est au nettoyage que servent les tubes.
Pour vous rassurer, les médecins vous disent que vous n’en avez que pour neuf mois. Pour vous faire sentir l’importance de cette procédure médicale, ils ajoutent que le violoniste mourra immédiatement si vous le débranchez.
Vous pouvez, certes, agir comme un bon Samaritain et sacrifier neuf mois de votre vie pour ce violoniste inconnu de vous, que vous n’aviez même pas décidé de sauver au départ.
Mais si vous exigez qu’on le débranche, serez-vous monstrueusement immoral ? Ne s’agira-t-il pas d’un acte de légitime défense, parfaitement acceptable du point de vue moral, à l’égard d’un intrus qui voudrait vous immobiliser pendant neuf mois ?
Si vous répondez oui, il vous faudra aussi répondre oui à la question de savoir s’il existe un droit moral d’interrompre une grossesse non désirée, car il s’agit de cas similaires qui doivent être traités de façon similaire.


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