Introduction
1) Qu’est-ce
qui vous semble trop intime pour être partagé avec autrui ?
2) Qu’est-ce
qu’autrui peut vous apprendre sur vous ?
3) Citez
des exemples où autrui a une influence sur vous et votre expérience du monde.
Autrui : autre
sujet que moi, mais sujet quand même. Sujet qui n’est pas moi, qui est face à
moi, que je rencontre dans le monde, parmi les choses.
Je fais toujours l’expérience du monde et de
moi-même en première personne, cad que c’est mon sujet qui a une conscience
perceptive de ce qui l’entoure et une conscience réflexive sur ses propres
pensées. Mon expérience, qu’elle soit celle que je fais du monde ou qu’elle
soit celle que j’ai de mes propres sentiments, semble accessible seulement à
moi-même, car je suis la seule conscience qui l’expérimente.
Les tentatives de partager cette expérience
singulière, cad de mettre en commun, avec autrui, semblent vouées à
l’échec : je n’arrive pas à exprimer exactement ma douleur, ou je n’arrive
pas à rendre compte de la beauté de ce coucher de soleil. L’expérience que je
fais en première personne serait une expérience que personne d’autre ne
pourrait partager dans sa singularité, ni comprendre précisément. Il apparait
donc impossible de partager, cad d’avoir en commun avec autrui, ce qui m’apparait
comme ma singularité pure. Tenter de le rendre accessible à tous reviendrait à
rendre banale ma propre vie, à perdre cette singularité.
Pour autant, je partage mon expérience du monde
avec autrui, c’est un fait : quand je marche auprès d’un ami et que je lui
raconte certains événements de ma vie, je partage le même environnement que
lui, dans lequel on s’oriente à deux, et je lui partage, par le langage, des
événements qui me sont arrivés, en première personne. Le courant littéraire du
Bildungsroman, roman d’éducation, incarné par Flaubert ou Goethe, veut faire le
portrait de toute une génération de jeunes gens, en peignant les aventures et
les réflexions d’un individu particulier, comme si une expérience singulière
pouvait être représentative d’une expérience générale d’un grand nombre
d’individus, comme si on pouvait peindre l’universel à travers le singulier. Cette
expérience partagée serait-elle toujours une expérience amoindrie, par
comparaison avec la richesse de ma propre expérience singulière, dont je serai
le seul à pouvoir apprécier la finesse ? Le partage de mon expérience avec
autrui est même une condition de scientificité : l’expérimentation
scientifique doit être reproductible par tous, selon un protocole défini, pour
parvenir aux mêmes résultats.
On remarque même à différents niveaux l’influence
d’autrui sur ma propre expérience : ce désir de nouvelles baskets parce
que tout le lycée semble adopter cette nouvelle tendance, cette volonté d’être
reconnu dans les couloirs pour me sentir aimé, ou alors cette mise en scène de
moi-même auprès des autres sur Snapchat. Même quand je raconte ma vie
singulière à un ami, je ne le fais pas de la même manière qu’à un journal
intime, je mets en scène les événements, je lui pose des questions, ce qui
m’amène à réfléchir en même temps, à nuancer certains détails. Autrui a donc un
effet notable sur ma propre expérience et sur la façon dont je la raconte.
=> Dès lors, autrui semble à la
fois une conscience extérieure à la mienne, qui n’aurait pas accès à la
singularité de mon expérience, cad ce que je vis en première personne, mais en
même temps il semble directement influencer mon expérience même : mon
expérience est-elle alors inaccessible à autrui, ou au contraire conditionnée
par lui ?
I.
Autrui ne peut partager la
singularité de mon expérience
=> Mon expérience singulière
semble inaccessible à une conscience qui ne l’a pas vécue : chaque
sensation est unique et non partageable car je ne peux vérifier qu’autrui a la
même expérience des couleurs que moi. Les moyens pour la partager, comme le
langage, ne peuvent transmettre cette singularité.
Texte 1 :
Poincaré, La valeur de la science,
1905
Mes sensations
singulières sont inaccessibles à autrui, tout comme ses sensations me sont
inaccessibles.
Je ne peux vérifier que nous avons tous deux la même expérience face au même
objet et que nous le voyons avec la même couleur ou que nous le touchons avec la
même chaleur ou dureté. La singularité des sensations est intransmissible à une
autre conscience que celle qui éprouve ces sensations, on ne pourra jamais être
sûr qu’une autre conscience fait la même expérience que nous d’un objet du
monde.
La seule chose
qu’on peut partager avec autrui, ce sont les relations qu’on établit sur ces
choses, comme les relations de différence ou de ressemblance : on peut seulement
constater les rapports que nous établissons entre les sensations car quand deux
sensations nous semblent identiques, comme la couleur de la cerise et du
coquelicot, nous leur donnons le même nom.
=> C’est donc le langage qui
nous permet de réfléchir sur ces sensations, en les distinguant par des noms
différents ou en les reliant par la même expression. Mais comment ce langage
procède-t-il ?
Texte 2 :
BERGSON, Le rire, 1900
Quand nous faisons l’expérience de quelque chose ou
quand nous racontons cette expérience à autrui, nous passons toujours par le
langage, cad les mots que nous connaissons pour désigner cette expérience. Ces
mots fonctionnent comme des étiquettes, cad des outils pour reconnaître les
ressemblances et différences dans nos expériences. Ces étiquettes sont pratiques car elles nous permettent de nous
orienter dans le monde rapidement, d’après ce qu’on connaît déjà, mais elles
nous masquent la singularité des événements vécus, car nous les plaquons
parfois sans aller au-delà. Ce besoin pratique d’identifier et de
catégoriser les objets et événements du monde est accentué par l’usage du
langage, qui utilise des mots généraux, qui désignent une pluralité infinie
d’expériences mais les regroupent selon leurs points communs et par différence
avec d’autres mots. Par exemple, le mot « amour » peut désigner
de façon générale des expériences très différentes, d’un amour-passion à un
amour confort fondé sur l’habitude, et on ne parvient à rendre compte des
différences de ces expériences qu’en utilisant d’autres mots pour préciser le
mot général. Dès lors, l’expérience même
que nous faisons du monde est simplifié par les mots généraux qu’on utilise
pour la désigner, qu’on plaque sur le réel sans prendre le temps d’apercevoir
ses mille singularités. La singularité de notre expérience même nous
échappe car on prend l’habitude de l’appréhender avec des mots généraux. Par
conséquent, le langage ne permet pas de communiquer à autrui la singularité de
mon expérience, qui m’est même rendue inaccessible : je n’échange avec autrui que des mots, des étiquettes générales sur les
choses, qui ne transmettent que des généralités et non la finesse de
l’expérience vécue. « Il n'y a d'universel ce qui est assez grossier pour
l’être » (Paul Valéry)
=> Bergson radicalise donc le
sujet : non seulement autrui ne peut partager avec moi la singularité de
mon expérience vécue, mais en plus, cette singularité m’échappe à moi aussi car
je n’appréhende mon expérience que par des généralités, me masquant une
infinité de détails sur lesquels je n’attire pas mon attention. Pour Bergson,
la solution à cet usage pratique automatique du langage se trouve dans l’art,
qui rend compte de la singularité de l’expérience en détournant le langage.
=> Pb : Si mon expérience
singulière ne peut jamais être partagée avec autrui, pourquoi se retrouve-t-on
dans des proverbes/conseils de vie qui semblent concerner les expériences de
tout le monde ? On semble faire des expériences communes du monde, cad des
expériences qui se ressemblent malgré la diversité des personnes qui les vivent.
Autrui, ce n’est pas un insecte ou un éléphant qui aurait un point de vue sur
le monde radicalement différent du mien : autrui, c’est un autre sujet,
une autre conscience, semblable à la mienne, cad qu’il a les mêmes capacités
sensibles et réflexives que moi, ce pourquoi on devrait avoir la possibilité de
faire les mêmes expériences.
II.
Autrui est un autre sujet
qui détermine effectivement mon expérience
=> Autrui est une autre conscience,
semblable à la mienne, qui influence effectivement ma propre expérience. Ce
n’est pas une conscience observatrice hors de moi, mais une conscience qui
participe à ma propre expérience.
Texte 3
Rousseau, Discours sur les fondements et l’origine de l’inégalité parmi les
hommes, 1755
L’homme a une
capacité pour s’identifier aux autres hommes et pour partager leur expérience
sensible : la pitié naturelle. C’est une capacité qui est sensible, immédiate,
qui se trouve chez l’homme avant tout usage de la raison. Ce n’est donc pas une
identification calculée, résultat d’une comparaison, mais c’est spontané et
naturel, en raison de notre appartenance à une espèce commune. C’est parce que
nous sommes tous des hommes, et qu’autrui est un autre homme, comme nous,
qu’autrui peut partager notre expérience de joie ou de souffrance,
spontanément, en observant nos réactions. Ainsi, je souffre spontanément quand
je vois quelqu’un se blesser en face de moi, tout comme je souris à cet ami qui
éclate de rire. Cette pitié naturelle
permet de conserver l’espèce car elle incite chacun à aider son semblable et à
lui éviter la souffrance.
Les hommes qui ne compatissent plus avec leurs
semblables sont ceux qui ont étouffé ces pulsions de compassion naturelles par
des réflexions théoriques. Ils n’entendent plus leur pitié naturelle à cause de
leur raison qui philosophe et tente de les convaincre que l’expérience de
l’autre n’est pas si grave.
=> C’est donc parce qu’autrui
est une conscience semblable à la mienne qu’il peut partager spontanément mon
expérience, qu’il comprend ma souffrance ou ma joie selon les expressions de
mon visage. Cette capacité naturelle est étouffée par la réflexion qui crée de
la distance entre les hommes.
Texte 4 GIRARD, La violence
et le sacré, 1972
D’où vient notre désir ? Le désir fonctionne de manière triangulaire : l’homme désire
intensément quelque chose, dont il se sent privé, et croit qu’autrui en est
pourvu. Par exemple, vous désirez les nouvelles baskets à la mode que vous
voyez chez vos amis. C’est donc de
l’observation et de l’imitation d’autrui que nait notre propre désir, et non
d’une introspection ou d’une histoire personnelle.
C’est autrui, soit un être extérieur, qui nous dit ce qu’il faut désirer. C’est en observant autrui désirer quelque
chose que nous nous mettons aussi à le désirer : si on voit que tel objet
est digne d’être désiré car il est désiré par autrui, alors nous le désirerons
aussi, par imitation. Le fait qu’autrui désire cet objet plutôt qu’un autre
lui confère de la valeur. Ce n’est pas qu’intrinsèquement ces baskets sont de
meilleure qualité, mais que je ne cesse de constater que mes proches les
désirent. Le désir est donc mimétique
cad qu’il prend pour modèle le désir que j’observe chez autrui et
réciproquement : c’est parce que je désire quelque chose qu’autrui le
désirera aussi.
Cette dépendance à l’égard du désir d’autrui pour
forger son propre désir peut sembler une faiblesse chez l’adulte car cela
pourrait témoigner d’un manque d’originalité, d’un manque de force pour
déterminer par soi-même son désir, faisant du désir de chacun une pâle copie du
désir des autres. L’adulte veut montrer
qu’il est maître de son désir et veut se poser en modèle des autres, mais il
fait que masquer sa propre imitation du désir d’un autre.
Dès lors que nous sommes plusieurs à fixer notre
désir sur le même objet, nous devons nous battre pour l’obtenir, ce qui
entraîne une rivalité parmi les hommes, sans qu’ils se rendent compte que c’est
leur imitation du désir d’autrui qui est la cause de cette rivalité. On croit
toujours que les mêmes goûts nous rassemblent, mais si nous tentons réellement
de satisfaire nos désirs, au détriment de ceux d’autrui, qui sont les mêmes,
alors nous rentrons dans un rapport conflictuel.
=> Non seulement autrui peut
partager mon désir, mais en plus c’est la source originelle inavouée de ce
désir que je crois être strictement le mien. Ce que j’interprète comme ma pure
singularité, l’originalité de mes goûts vestimentaires par exemple, n’est en
fait qu’une imitation du désir que j’observe chez autrui. Autrui peut non
seulement partager mon expérience du désir, mais en plus c’est lui qui la crée
et qui en détermine les conditions.
Texte 5
SARTRE, L’Être et le Néant, 1943
Autrui est un autre sujet que moi, qui me fait
objet de son propre champ perceptif. Je suis un objet dans l’expérience d’autrui,
au même titre qu’un animal ou qu’une chaise.
L’expérience de la honte, que j’éprouve quand
autrui me prend sur le fait, en train de commettre un acte moralement
répréhensible, comme regarder par le trou de la serrure, m’affecte au plus
profond de moi-même, car je me sens figé
dans cette expérience et dans le regard d’autrui : autrui me considère
comme un voyeur et je suis prisonnier de cette image qu’il a de moi. J’ai
honte de ce que je suis, devant quelqu’un, immédiatement : ce n’est pas le
fruit de la réflexion, mais c’est un sentiment que j’éprouve dès que je vois
autrui en train de me regarder et de me juger.
Autrui est
alors le médiateur entre moi et moi-même, cad la conscience qui me donne une
image de moi-même, dans ma propre expérience, dès lors que je rentre dans sa
propre expérience.
Il m’apprend ainsi quelque chose sur moi-même, il me dévoile un aspect de ce
que je suis, à ses yeux. S’il m’a vu ainsi et s’il me considère ainsi, alors je
suis ainsi, cela fait partie de mon identité, je ne peux le nier. C’est par son
regard, par son jugement, que j’ai honte de moi-même et que j’en viens à me
juger moi-même. Son regard de sujet me
fige en objet, il me juge et ne me considère que sous un aspect dont je ne peux
me défaire, comme il jugerait une table abîmée ou un chat câlin : ce
sont des propriétés dont les objets n’ont pas le pouvoir de se défaire. Je peux
tenter de me comporter autrement, mais je serais toujours jugé à travers son
regard. Il ne me juge pas ainsi arbitrairement, de telle sorte que je pourrais
ne pas me sentir concerné : non,
dans l’expérience de la honte, je reconnais que je suis dans une situation qui
me gêne et je reconnais ma propre honte, cet aspect sous lequel autrui me voit.
Dans le regard qu’autrui a de moi-même, je me vois sous un autre jour et je me
reconnais ainsi dans cette image, je ne peux m’en défaire.
=> Autrui est donc une autre
conscience qui non seulement peut partager mon expérience mais qui en plus peut
déterminer ma propre expérience, quand je suis sous son regard et que je me
reconnais tel qu’il me voit et me juge. Dans le regard d’autrui, je suis un
sujet qui ne peut se défaire de l’image qu’autrui a de lui. C’est dans son
regard que je reconnais des aspects de moi-même que je n’avais pas considérés
jusqu’alors.
=> Pb : autrui ne semble
donc pas une conscience extérieure à moi-même à laquelle mon expérience
singulière serait inaccessible, mais au contraire c’est une conscience qui
détermine ma propre expérience, soit ma compassion à son égard, mon désir et
l’image que je me fais de moi-même. Jusqu’à quel point autrui est-il donc entré
dans mon expérience intime ?
III.
Autrui est une structure
nécessaire de mon expérience : sans autrui, pas d’expérience
Texte 6
TOURNIER, Vendredi ou les Limbes du Pacifique, 1967
Le roman de Tournier fait l’hypothèse d’une
solitude radicale de Robinson après son naufrage sur une île déserte. Que se passe-t-il quand un homme vit
absolument seul, dans un milieu sauvage, sans présence ou trace humaines près
de lui ? Tournier montre que cette solitude attaque toutes les
dimensions de son existence en tant qu’humain : la parole, la pensée, la
perception du temps, de soi-même. Je ne
reste pas un homme dans cet état de solitude : je suis progressivement
déshumanisé. En perdant la présence des autres, je perds ce qui fait de moi un
humain, car l’homme est un animal social, dont l’existence nécessite une
communauté. Petit à petit, je perds les normes qui structuraient mon
comportement, je perds toute raison de me lever le matin ou d’entreprendre quoi
que ce soit et mon champ perceptif diminue.
Robinson
comprend alors que chaque homme, même s’il peut se sentir seul et peu apprécié
de son entourage, fait appel à un échafaudage social de normes, de rêves,
d’habitudes, formé par les contacts avec les autres humains. Même si je ne ressens pas à
chaque moment l’action d’autrui sur moi, sa présence conditionne toute mon
existence d’humain : « Autrui,
pièce maîtresse de mon univers ». Autrui est une structure de ma
propre expérience qui m’apporte des normes, qui me permet de parler, qui
augmente mon champ perceptif, qui influence ma façon même d’expérimenter le
monde. Autrui constitue un ensemble de
points de vue possibles, qui peuvent voir des choses ou des détails du monde
qui m’échappent, ou qui peuvent voir différemment que moi certaines
choses : il augmente donc mon seul champ perceptif. C’est parce
qu’autrui regarde attentivement par la fenêtre que je devine qu’il s’y passe
quelque chose, alors qu’elle est dans mon dos. Quand je perds la structure d’autrui, je perds les points de vue des
autres sur le monde, il n’y a plus que mon point de vue. Ce que je ne vois pas
actuellement n’existe pas, car il n’y a plus personne pour m’indiquer qu’il y a
autre chose à voir. Pour ne pas devenir fou dans ma solitude, j’ai besoin
d’autrui qui m’indique d’autres choses possibles à voir.
=> Autrui est la structure même
de mon expérience, sans lui toute une partie de mon champ perceptif, de mes
normes, de ma perception de moi-même, disparaît dans l’inaccessible. Je ne peux
pas faire d’expérience sans autrui qui la structure et la complète. Dans un
état de solitude radicale, mon expérience est transformée par l’absence
d’autrui.
Texte 7 DELEUZE,
Logique du Sens, 1969
Deleuze commente, en philosophe, le roman de Tournier,
pour en déduire une théorie sur autrui. Autrui
n’est pas un objet comme les autres de mon monde, comme une fleur ou un animal,
ce n’est pas non plus seulement une autre conscience, ce n’est ni un objet
perçu ni un sujet percevant, mais la structure même de mon champ perceptif, cad
ce qui permet à ma perception d’être ce qu’elle est. Sans autrui, je perds une partie de mon expérience du monde, tout ce
que je ne perçois pas directement, mais qu’autrui pourrait voir, disparait
définitivement de mon propre monde. La présence d’autrui permet d’organiser
ma perception du monde. Ce que m’indique autrui, c’est le possible lui-même,
cad ce qui peut être ou ne pas être : quand je vois sur le visage d’autrui
la peur, je comprends qu’il voit quelque chose d’effrayant, je comprends donc
la possibilité d’un monde effrayant, sans que je le perçoive directement. Je ne
vois pas encore ce qui a déjà un effet sur autrui. Ce possible effrayant existe
chez autrui qui manifeste sa peur, mais il n’existe pas encore pour moi, tant
que je ne le vois pas directement. Ainsi, la peur sur le visage d’autrui
indique qu’il a vu quelque chose qu’il juge effrayant, il exprime donc quelque
chose que je n’ai pas encore vu mais que je pourrai voir par la suite :
c’est pourquoi on peut dire qu’autrui implique le possible, qui n’est pas
encore actuel pour moi.
Possible/actuel :
ce qui peut être ou ne pas être / ce qui est effectivement.
Je ne peux
jamais tout expérimenter directement : voir autrui l’expérimenter permet
de me rendre compte de ces possibilités. Quand j’accède alors à ce qu’autrui
voyait, j’accède à cet autre monde possible, qui devient alors actuel pour moi.
=> Autrui est donc la structure
même de mon expérience, notamment de l’expérience du possible. Sans autrui, mon
expérience du monde est fortement transformée, voire même détériorée.
Conclusion
Autrui n’est pas une autre conscience extérieure à
moi-même avec laquelle je pourrai avoir du mal à partager certaines choses
intimes : c’est un élément nécessaire à l’organisation même de mon
expérience, de mon champ perceptif, de mes désirs, de ma compassion. Même quand
je suis seul sur mon lit à réfléchir sur mes sentiments, le regard d’autrui, le
poids des normes sociales, mon expérience personnelle avec les autres, tout
cela influence sur ma propre expérience singulière. Je me rends compte de
l’importance fondamentale d’autrui sur moi-même quand je fais l’expérience de
la solitude radicale. Il est donc illusoire de penser un sujet sans
autrui : je suis toujours le résultat d’une interaction plus ou moins
explicite avec autrui.