samedi 25 janvier 2020

Chapitre 5 : La culture peut-elle déshumaniser l'homme ?


L’homme ne trouve pas les ressources dont il a besoin pour vivre toutes faites dans la nature : il a besoin de la transformer pour subvenir à ses besoins, ce pourquoi il travaille et utilise des techniques. Ex de l’agriculture : l’homme cultive la Terre qu’il trouve à sa disposition pour la faire subvenir à ses propres besoins. On cultive pour faire donner à la nature ce qu’elle ne donnerait pas naturellement, pour échapper à l’aléatoire de la cueillette et de la chasse.
ð  L’homme crée donc de la matière à partir de ce qu’il trouve dans son environnement, pour subvenir à ses besoins naturels.
Ses moyens de créations sont infinis (langage, technique, travail) alors que les rares procédés langagiers et techniques chez les animaux sont limités à quelques utilisations particulières et sont dictés par leur instinct.
L’homme donne du sens à ses produits culturels, cad qu’il interprète certains objets comme étant de l’art, il interprète le sens de sa vie d’après des croyances collectives, comme les mythes ou la religion.
ð  PB : Mais quand l’homme crée ou interprète sa destinée, il ne fait pas que modifier son environnement : il se modifie lui-même aussi. Les évolutions des conditions de travail et des techniques ont des conséquences sur le comportement des hommes. Quelles sont alors les conséquences des productions culturelles de l’homme sur lui-même ?
Enjeux : réfléchir sur ce que l’homme crée pour vivre implique une réflexion sur les valeurs morales et politiques pour guider les comportements collectifs. Le travail et la technique comportent des enjeux politiques.

3 sens de culture
-        Culture classique de celui qui est cultivé, à l’inverse de l’inculte. Culture apprise à l’école (Zola, Mozart)
-        Culture d’une population : l’ensemble des valeurs normes habitudes et manières d’être partagées par un groupe. C’est la culture étudiée par la sociologie et l’anthropologie. On constate une diversité culturelle car l’homme ne vit pas partout pareil mais il utilise les mêmes facultés.
-        Culture qui s’oppose à nature : la nature = ce qui se fait spontanément, se développe soi-même, alors que la culture est ce que l’homme crée pour vivre dans son environnement. Tout ce qui n’existerait pas sans l’homme. Parfois difficile à distinguer : la forêt des Landes est plantée par Haussmann, l’agriculture est une culture.

ð  Sujet volontairement provocateur : la culture serait le propre de l’homme, à l’inverse des animaux guidés par leurs instincts. C’est par la culture que l’homme est proprement humain : mais alors, pourquoi suggérer que la culture pourrait le déshumaniser, cad aller à l’encontre de sa nature, voire le détruire complètement, alors que c’est ce qui fait qu’il est humain ?
ð  L’homme a les capacités de modifier son environnement et lui-même: ces modifications peuvent-elles aller à l’encontre de la nature de l’homme ? Il faut déterminer ce qu’est la nature de l’homme pour savoir quand l’humanité est bafouée.

2 questions se posent donc :
-        Certaines formes de vie humaine peuvent-elles être considérées comme allant à l’encontre de la nature humaine, au point de le déshumaniser ?
-        Quels sont alors les contours et limites de cette notion de nature humain ?

Enjeux : ce qui relève du naturel ne semble pas modifiable alors que ce qui relève du culturel est contingent, aléatoire et peut être modifié.












I.                La culture est le propre de l’homme : elle rend l’homme humain

C’est par la culture que l’homme développe les capacités qui sommeillent en lui : la culture actualise les potentialités humaines qui le distinguent de l’animal. En acte = effectif, réalisé / En puissance = possible, ce qui peut être mais pas encore réalisé.
La culture permet d’actualiser ce qui est possible en chaque humain. L’humanité s’acquiert, c’est le résultat d’un processus individuel et historique : comment devient-on humain alors ?

Texte 1 : Platon : Mythe de Prométhée
« Il fut jadis un temps où les dieux existaient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps que le destin avait assigné à leur création fut venu, les dieux les façonnèrent dans les entrailles de la terre d’un mélange de terre et de feu et des éléments qui s’allient au feu et à la terre. Quand le moment de les amener à la lumière approcha, ils chargèrent Prométhée et Epiméthée de les pourvoir et d’attribuer à chacun des qualités appropriées. Mais Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser faire seul le partage. Sa demande accordée il fit le partage, et, en le faisant, il attribua aux uns la force sans la vitesse, aux autres la vitesse sans la force ; il donna des armes à ceux-ci, les refusa à ceux-là, mais il imagina pour eux d’autres moyens de conservation ; car à ceux d’entre eux qu’il logeait dans un corps de petite taille, il donna des ailes pour fuir ou un refuge souterrain ; pour ceux qui avaient l’avantage d’une grande taille, leur grandeur suffit à les conserver, et il appliqua ce procédé de compensation à tous les animaux. Ces mesures de précaution étaient destinées à prévenir la disparition des races. Mais quand il leur eut fourni les moyens d’échapper à une destruction mutuelle, il voulut les aider à supporter les saisons de Zeus ; il imagina pour cela de les revêtir de poils épais et de peaux serrées, suffisantes pour les garantir du froid, capables aussi de les protéger contre la chaleur et destinées enfin à servir, pour le temps du sommeil, de couvertures naturelles, propres à chacun d’eux ; il leur donna en outre comme chaussures, soit des sabots de cornes, soit des peaux calleuses et dépourvues de sang, ensuite il leur fournit des aliments variés suivant les espèces, aux uns l’herbe du sol, aux autres les fruits des arbres, aux autres des racines ; à quelques-uns même il donna d’autres animaux à manger ; mais il limita leur fécondité et multiplia celle de leur victime pour assurer le salut de la race. Cependant Epiméthée, qui n’était pas très réfléchi avait sans y prendre garde dépensé pour les animaux toutes les facultés dont il disposait et il lui restait la race humaine à pourvoir, et il ne savait que faire. Dans cet embarras, Prométhée vient pour examiner le partage ; il voit les animaux bien pourvus, mais l’homme nu, sans chaussures, ni couvertures ni armes, et le jour fixé approchait où il fallait l’amener du sein de la terre à la lumière. Alors Prométhée, ne sachant qu’imaginer pour donner à l’homme le moyen de se conserver, vole à Héphaïstos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu ; car, sans le feu, la connaissance des arts était impossible et inutile ; et il en fait présent à l’homme. L’homme eut ainsi la science propre à conserver sa vie ; mais il n’avait pas la science politique ; celle-ci se trouvait chez Zeus et Prométhée n’avait plus le temps de pénétrer dans l’acropole que Zeus habite et où veillent d’ailleurs des gardes redoutables. Il se glisse donc furtivement dans l’atelier commun où Athéna et Héphaïstos cultivaient leur amour des arts, il y dérobe au dieu son art de manier le feu et à la déesse l’art qui lui est propre, et il en fait présent à l’homme, et c’est ainsi que l’homme peut se procurer des ressources pour vivre. Dans la suite, Prométhée fut, dit-on, puni du larcin qu’il avait commis par la faute d’Epiméthée. Quand l’homme fut en possession de son lot divin, d’abord à cause de son affinité avec les dieux, il crut à leur existence, privilège qu’il a seul de tous les animaux, et il se mit à leur dresser des autels et des statues ; ensuite il eut bientôt fait, grâce à la science qu’il avait d’articuler sa voix et de former les noms des choses, d’inventer les maisons, les habits, les chaussures, les lits, et de tirer les aliments du sol. Avec ces ressources, les hommes, à l’origine, vivaient isolés, et les villes n’existaient pas ; aussi périssaient-ils sous les coups des bêtes fauves toujours plus fortes qu’eux ; les arts mécaniques suffisaient à les faire vivre ; mais ils étaient d’un secours insuffisant dans la guerre contre les bêtes ; car ils ne possédaient pas encore la science politique dont l’art militaire fait partie. En conséquence ils cherchaient à se rassembler et à se mettre en sûreté en fondant des villes ; mais quand ils s’étaient rassemblés, ils se faisaient du mal les uns aux autres, parce que la science politique leur manquait, en sorte qu’ils se séparaient de nouveau et périssaient. Alors Zeus, craignant que notre race ne fut anéantie, envoya Hermès porter aux hommes la pudeur et la justice pour servir de règles aux cités et unir les hommes par les liens de l’amitié. Hermès alors demanda à Zeus de quelle manière il devait donner aux hommes la justice et la pudeur. « Dois-je les partager comme on a partagé les arts ? Or les arts ont été partagés de manière qu’un seul homme, expert en l’art médical, suffît pour un grand nombre de profanes, et les autres artisans de même. Dois-je répartir ainsi la justice et la pudeur parmi les hommes ou les partager entre tous » – «Entre tous répondit Zeus ; que tous y aient part, car les villes ne sauraient exister, si ces vertus étaient comme les arts, le partage exclusif de quelques-uns ; établis en outre en mon nom cette loi que tout homme incapable de pudeur et de justice sera exterminé comme un fléau de la société ». Voilà comment, Socrate, et voilà pourquoi les Athéniens et les autres, quand il s’agit d’architecture ou de tout autre art professionnel, pensent qu’il n’appartient qu’à un petit nombre de donner des conseils, et si quelque autre, en dehors de ce petit nombre se mêle de donner un avis, ils ne le tolèrent pas, comme tu dis, et ils ont raison selon moi. Mais quand on délibère sur la politique où tout repose sur la justice et la tempérance, ils ont raison d’admettre tout le monde, parce qu’il faut que tout le monde ait part à la vertu civile ; autrement il n’y a pas de cité».
PLATON, Protagoras, 320 321c, Tr. Fr. Emile Chambry

L’homme est une espèce naturelle mortelle, comme les plantes et les animaux, mais n’a pas d’attributs propres à assurer naturellement sa conservation, à l’inverse des animaux, parce qu’il  ni outils naturels ni instinct lui dictant un comportement à adopter dans chaque situation. A l’origine, dans le mythe, l’homme est donc démuni de caractéristiques spécifiques pour assurer sa survie.
2 attributs spécifiquement humains vont alors lui être donnés par les Dieux pour assurer sa survie :
-        Le feu = outil à faire des outils = intelligence technique : procédé infini de création.
-        Justice pour permettre aux hommes de vivre ensemble. La politique sert à réguler les dangers de la technique non maîtrisée.
ð  L’homme est alors supérieur aux autres espèces car il récupère des attributs divins.
ð  L’intelligence technique et morale-politique créent le monde culturel de l’homme et lui laisse une possibilité infinie de création de ses conditions de vie.





Texte 2 : Rousseau, la culture est le développement naturel de la liberté et de la perfectibilité humaines
Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l’un et l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer. C’est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la mort ; parce que l’esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait.
Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête ; ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l’homme que sa qualité d’agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister ; et c’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la physique explique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance on ne trouve que des actes purement spirituels, dont on n’explique rien par les lois de la mécanique.
Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n’a rien acquis et qui n’a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme reperdant par la vieillesse ou d’autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ?
ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1754

2 caractéristiques propres à l’homme : la liberté et la perfectibilité.
-        Liberté : alors que l’animal agit par instinct, l’homme fait des choix, choix qui peuvent aller contre ses besoins naturels. Il peut acquiescer ou résister aux tendances naturelles qu’il sent en lui. Indétermination naturelle donc l’homme peut se déterminer lui-même.
-        Perfectibilité : capacité de l’homme à s’améliorer, à progresser, à utiliser des choses acquises par ses parents et non données par la nature. Capacité à s’adapter aux circonstances extérieures comme les circonstances climatiques, ce qui crée la diversité culturelle.
ð  Capacités par lesquelles l’homme avance dans son histoire. La culture = le produit de la liberté humaine et de sa capacité à s’adapter aux circonstances extérieures.

ð  Pb : Mais cette liberté peut aussi le rendre méchant, si sa pitié naturelle est étouffée par sa raison.

ð  L’homme a alors la liberté de créer n’importe quelles formes de vie. Pourrait-il créer des formes culturelles qui le détruise ou qui détruise ses conditions de vie sur Terre ?



II.              Mais certains développements de la culture peuvent contraindre l’homme à des formes de vie qui semblent inhumaines

Il se peut que certains développements du travail, de la technique ou de la religion aillent à l’encontre d’une certaine conception de la nature humaine.

Texte 3 : Marx :  le travail aliéné
En quoi consiste l’aliénation du travail ?
D’abord dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, cad qu’il n’appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, l’ouvrier ne s’affirme pas, mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux ; il n’y déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l’ouvrier ne se sent lui-même qu’en dehors du travail et dans le travail il se sent extérieur à lui-même. Il est à l’aise quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas à l’aise. Son travail n’est donc pas volontaire, mais contraint, c’est du travail forcé. Il n’est donc pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme de la peste. Le travail extérieur à l’homme, dans lequel il se dépouille, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin le caractère extérieur à l’ouvrier du travail apparaît dans le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas, que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. (...) On en vient donc à ce résultat que l’homme se sent agir librement seulement dans ses fonctions animales : manger, boire et procréer, ou encore, tout au plus, dans le choix de sa maison, de son habillement, etc ; en revanche, il se sent animal dans ses fonctions proprement humaines. Ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal. Manger, boire, procréer, etc, sont certes aussi des fonctions authentiquement humaines. Mais séparées abstraitement du reste du champ des activités humaines et devenues ainsi la fin dernière et unique, elles ne sont plus que des fonctions animales.
 MARX, Manuscrits de 1844

Aliénation du travail = le travailleur est dépossédé de son travail et de ses fruits, il ne travaille pas pour lui mais pour un autre, qui le rémunère et qui possède ce qu’il produit. L’aliénation détruit la liberté de l’activité de travail.
L’aliénation est un phénomène propre au régime capitaliste où il y a une scission entre ceux qui possèdent les capitaux (=capitalistes) et ceux qui n’ont que leur force de travail (=ouvriers). Les ouvriers sont contraints de vendre leur force de travail aux capitalistes pour gagner de quoi vivre (= reproduire sa force de travail). Donc ils ne travaillent pas pour eux-mêmes mais pour le capitaliste à qui ils vendent leur force de travail et qui garde le fruit de leur travail.
Plus-value = alors qu’en 6h l’ouvrier produit suffisamment pour reproduire sa force de travail, le capitaliste lui demande de travailler 14h et ne lui paie que la reproduction de sa force de travail, cad ce qu’il a produit en 6h, sans lui payer le surplus. L’ouvrier n’est payé que pour une partie de ce qu’il produit, le reste est capté par le capitaliste.
ð  Quelles conséquences a cette aliénation économique sur le travailleur ?
Le travailleur ne fait rien de positif dans son travail car il est au service d’un autre : il nie ses propres qualités, il adapte son corps et son esprit à des formes de travail produites par le capital. Il ne choisit pas ses conditions de travail mais doit se plier aux ordres. L’homme est dépossédé de cette activité qui est pourtant spécifiquement humaine. Le travailleur souffre au travail, qui n’est qu’un moyen de gagner sa vie, cad pour vivre sa vie hors du travail. Il ne fait alors que manger, boire, procréer, qui sont des actions animales : quand elles deviennent des fins et non des moyens pour faire autre chose de sa vie, elles rabaissent l’homme au rang de l’animal.





Texte 4 : Feuerbach la religion sépare les hommes par la foi au lieu de les unir par l’amour
C’est de plein droit que l’Eglise a damné ceux qui croient autrement, ou en général les incroyants, car cette damnation réside dans l’essence de la foi. La foi apparaît d’abord comme séparation sans préjugé entre croyants et incroyants. Le croyant a Dieu pour lui, l’incroyant l’a contre lui. (...) Mais ce qui a Dieu contre lui, n’est rien, est rejeté, damné ; car ce qui a Dieu contre lui, est contre Dieu. Croire signifie la même chose qu’être bon, ne pas croire la même chose qu’être méchant. Limitée et fermée sur elle-même, la foi déplace tout sur le domaine de la conviction. C’est par obstination et méchanceté que l’incroyant est incroyant ennemi du Christ. La foi ne s’assimile donc que les croyants, et elle rejette les incroyants. Elle est bonne à l’égard des croyants, mais méchante à l’égard des incroyants. (...) Par essence la foi condamne, damne. Elle amasse toute bénédiction, tout bien sur elle-même, sur son Dieu, comme l’amant sur celle qu’il aime, tout en rejetant sur l’incroyant toute malédiction, toute imperfection, tout mal. (...) Assurément le christianisme n’ordonne pas de persécutions des hérétiques, encore moins de conversions par la force armée. Mais dans la mesure où la foi condamne, elle engendre nécessairement des dispositions hostiles, les dispositions d’où nait la persécution des hérétiques. Aimer l’homme qui ne croit pas au Christ est un péché contre le Christ, signifie aimer l’ennemi du Christ. L’homme ne peut aimer ce que Dieu, ce que le Christ n’aime point ; son amour serait en contradiction avec la volonté divine, serait donc un péché. Certes Dieu aime tous les hommes, mais si et parce qu’ils sont chrétiens ou du moins peuvent l’être ou veulent l’être. (...) La foi supprime les liens naturels de l’humanité et substitue à l’unité naturelle et universelle une unité particulariste.
FEUERBACH L’essence du christianisme, 1841

La foi religieuse, cad croire dans un certain nombre de dogmes et pratiquer certains rites, divise les hommes en différentes croyances incompatibles et les amène à se haïr entre eux. La foi accepte tous ceux qui croient de la même façon et rejettent les autres. La foi divise ainsi les hommes entre les amis, qui croient dans la même chose, et les ennemis, qui croient différemment.
La foi condamne tous ceux qui ne respectent pas ses principes : Feuerbach explique ainsi les persécutions de hérétiques et les conversions forcées, qui témoignent d’une imposition de la foi à ceux qui croient autrement.
La foi divise donc les hommes, ce qui revient à dissoudre l’unité naturelle de l’humanité et à remplacer l’humanité par un groupe religieux particulier. Plutôt que de s’aimer tous entre eux, les hommes n’aiment que ceux qui croient dans les mêmes Dieux.














Texte 5 : Levi-Strauss le barbare c’est celui qui croit à la barbarie
Et pourtant il semble que la diversité des cultures soit rarement apparue aux hommes pour ce qu’elle est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés ; ils y ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scandale ; dans ces matières, le progrès de la connaissance n’a pas tellement consisté à dissiper cette illusion au profit d’une vue plus exacte qu’à l’accepter ou à trouver le moyen de s’y résigner.
L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite uti­lisé le terme de « sauvage » dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement: il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie ani­male, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.
Ce point de vue naïf, mais profondément ancré chez la plupart des hommes, n’a pas besoin d’être discuté puisque cette brochure en constitue précisément la réfutation. Il suffira de remarquer ici qu’il recèle un paradoxe assez significatif. Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion d’humanité, englobant, sans distinctions de race ou de civilisation, toutes les formes de l’espèce humaine, est d’apparition fort tardive et d’expansion limitée. Là même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n’est nullement certain – l’histoire récente le prouve – qu’elle soit établie à l’abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l’espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente. L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion – les « bons», les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus – ou même de la nature – humaines, mais sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de «singes de terre » ou « d’oeufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ».
Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leur cadavre était, ou non, sujet à la putréfaction. Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxe du relativisme culturel (que nous retrouverons ailleurs sous d’autres formes) : c’est dans la mesure même où l’on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l’on s’identifie le plus complètement avec celles qu’on essaye de nier. En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ».
LEVI-STRAUSS, Race et histoire, 1952










La diversité culturelle est un phénomène naturel dû à l’adaptation de la liberté humaine aux circonstances extérieures.
Mais l’attitude ethnocentriste est courante chez les hommes : rejeter la différence culturelle hors de l’humanité, en considérant la différence comme une infériorité. Tendance qui pousse à rejeter hors de la culture tout ce qui ne nous convient pas, en disant que ce sont des sauvages pas évolués.
Mais faire des différences et des hiérarchies entre les cultures et les coutumes, c’est faire ce que font ces peuples qu’on appelle sauvages : rejeter ce qu’ils ne connaissent pas hors de la culture. Attitude ethnocentriste courante chez les hommes mais dont on peut se défaire. Le vrai barbare n’est pas celui qui est désigné comme tel car il serait différent, mais celui qui désigne les autres comme tel, car il croit à la barbarie, cad à la différence entre les peuples et il n’accepte pas la diversité culturelle, au point de nier l’humanité des autres hommes.

PB : Mais quel est cet idéal de nature humaine qui serait dévoyé par certaines formes culturelles ? Comment le délimiter ? Il se pourrait qu’il change en fonction des périodes historiques et des intérêts sociaux et politiques : est-ce une norme illusoire ?



III.             Rendre la culture plus humaine est une action collective politique

Il n’existe pas de définition a priori de l’humanité qui serait la même depuis l’Antiquité : la notion d’humanité est toujours redéfinie selon les contextes et les enjeux socio-politiques. Dans l’Antiquité, l’humanité exclut les femmes et les esclaves. La DDHC exclut les femmes.
Chercher à rendre l’homme plus humain = chercher à adapter l’homme à une norme jugée meilleure pour lui, mais on ne sera jamais sûr de la qualité intrinsèque (en soi) de cette norme.

Texte 6 : Jonas principe de précaution pour encadrer l’usage de la technique
Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui. (…) Qu'est-ce qui peut servir de boussole ? L'anticipation de la menace elle-même ! C'est seulement dans les premières lueurs de son orage qui nous vient du futur, dans l'aurore de son ampleur planétaire et dans la profondeur de ses enjeux humains, que peuvent être découverts les principes éthiques, desquels se laissent déduire les nouvelles obligations correspondant au pouvoir nouveau. Cela, je l'appelle “heuristique de la peur”. Seule la prévision de la déformation de l'homme nous fournit le concept de l’homme qui permet de nous en prémunir (…). Mais le véritable thème est ce devoir nouvellement apparu que résume le concept de responsabilité. Sans doute n'est-ce pas un phénomène nouveau dans l’éthique. La responsabilité n'a pourtant jamais eu un tel objet, de même qu'elle a peu occupé la théorie éthique jusqu'ici. Le savoir, aussi bien que le pouvoir, étaient trop limités pour incorporer l'avenir plus lointain dans la prévision, bien plus, pour inclure la planète entière dans la conscience de la causalité personnelle. Plutôt que de deviner vainement les conséquences tardives, relevant d'un destin inconnu, l'éthique se concentrait sur la qualité morale de l'acte momentané lui-même, dans lequel on doit respecter le droit du prochain qui partage notre vie. Sous le signe de la technologie par contre, l'éthique a affaire à des actes (quoique ce ne soient plus ceux d'un sujet individuel), qui ont une portée causale incomparable en direction de l'avenir et qui s'accompagnent d'un savoir prévisionnel qui, peu importe son caractère incomplet, déborde lui aussi tout ce qu'on a connu autrefois. Il faut y ajouter l’ordre de grandeur des actions à long terme et très souvent également leur irréversibilité. Tout cela place la responsabilité au centre de l'éthique, y compris les horizons d'espace et de temps qui correspondent à ceux des actions.”
JONAS, Le principe responsabilité, 1979


Le pouvoir de la technique est devenu trop grand sur l’espèce humaine, car il peut maintenant la détruire (bombe nucléaire). Il faut trouver un moyen de réguler la technique pour permettre aux générations futures de vivre sur Terre : c’est la peur de détruire la vie humaine qui doit nous prémunir d’un usage dangereux de la technique. On ne peut pas anticiper tous les effets de la technologie donc il faut réguler la technique avec prudence.



2 ex de solutions chez Marx pour désaliéner le travail

Texte 7 : Marx suppression de la propriété privée pour désaliéner le travail et rendre l’homme plus humain
Le communisme est, en tant qu’abolition positive de la propriété privée (elle-même aliénation humaine de soi), appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme. C’est le retour complet de l’homme à lui-même en tant qu’être pour soi, cad en tant qu’être social, humain, retour conscient et qui s’accomplit en conservant toute la richesse du développement antérieur. En tant que naturalisme achevé, ce communisme est humanisme ; en tant qu’humanisme achevé, il est naturalisme. Il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme, la vraie solution du conflit entre l’existence et l’essence, entre l’objectivation et l’affirmation de soi, entre la liberté et la nécessité, entre l’individu et l’espèce. Il est l’énigme résolue de l’histoire et il en est conscient.

MARX, Manuscrits de 1844

L’aliénation du travail est due au fait que l’ouvrier vend sa force de travail au capitaliste car il ne possède pas les capitaux pour travailler par lui-même. Supprimer la propriété privée et faire de chaque capital un élément du capital social possédé par toute la société serait un moyen pour que chacun se réapproprie l’activité de travail et ses fruits.

Texte 8 : Marx protection du travail par l’union des ouvriers pour garantir les conditions de travail

Il faut avouer que notre travailleur ne sort pas de procès de production dans l’état où il y est entré. Il se présentait sur le marché comme possesseur de la marchandise « force de travail », face à d’autres possesseurs de marchandises, d’égal à égal. Le contrat par lequel il vendait sa force de travail au capitaliste prouvait en quelque sorte noir sur blanc qu’il disposait librement de lui-même. Mais le marché une fois conclu, on découvre qu’il n’est pas « un agent libre », que le temps pour lequel il est libre de vendre sa force de travail est le temps pour lequel il est forcé de la vendre, qu’en réalité le vampire qui le suce ne lâche pas prise « tant qu’il y a encore un muscle, un nerf, une goutte de sang à exploiter ». Pour se « protéger » du serpent de leurs tourments, les ouvriers doivent se rassembler en une seule troupe et conquérir en tant que classe une loi d’Etat, un obstacle social plus fort que tout, qui les empêche de se vendre eux-mêmes au capital en négociant un libre contrat, et de se promettre, eux et à leur espèce, à la mort et à l’esclavage.

MARX, Le Capital, Ch VIII, La Journée de travail

L’économie fait croire que les capitalistes/ouvriers sont libres contractants alors que le rapport est disproportionné car l’ouvrier a un besoin immédiat de gagner de quoi reproduire sa force de travail.
Les ouvriers doivent donc se rassembler pour se protéger des capitalistes, notamment en régulant les conditions de travail par le droit du travail, qui limite la durée quotidienne du travail par exemple.



Conclusion

C’est par la culture que l’homme actualise ses potentialités, comme le langage, la technique et le travail, et ainsi se distingue de l’animal, qui a déjà tout ce dont il a besoin dès sa naissance. Mais cette liberté humaine peut aussi mettre en péril certaines de ses conditions de vie, quand elle en vient à produire un travail déshumanisant ou des religions qui divisent les hommes au lieu des les unir. C’est alors à l’homme lui-même, en collectivité, de se donner les moyens de dessiner des conditions de vie qui correspondent à l’image qu’il se fait de son humanité. L’humanité n’est donc pas un idéal a priori mais une norme que les hommes redéfinissent politiquement en contexte.


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