Pour préparer le chapitre, vous pouvez aller voir- l'épisode suivant de Dirty biology sur les difficultés à définir la vie en biologie (et en philosophie!) : https://www.youtube.com/watch?v=d6u6Xhsg-qk- les épisodes suivants de Monsieur Phi : https://www.youtube.com/watch?v=2DOYvDWZWwo&list=PLuL1TsvlrSnfFoWrxq-ai2tSWABRroQKT
https://www.youtube.com/watch?v=J5dTXVbS3Vghttps://www.youtube.com/watch?v=enZpq8jvFEshttps://www.youtube.com/watch?v=Gqu6Di353okhttps://www.youtube.com/watch?v=2DOYvDWZWwo- les épisodes des Crash courses histoire des sciences : https://www.youtube.com/watch?v=-hjGgFgnYIA&list=PL8dPuuaLjXtNppY8ZHMPDH5TKK2UpU8Ng (chaîne en anglais mais il y a aussi des sous-titres en anglais pour vous aider) Les Crash courses histoire des sciences, philosophie et psychologie sont vraiment d'excellente qualité, je vous les recommande tous très vivement.
Introduction
https://www.youtube.com/watch?v=J5dTXVbS3Vghttps://www.youtube.com/watch?v=enZpq8jvFEshttps://www.youtube.com/watch?v=Gqu6Di353okhttps://www.youtube.com/watch?v=2DOYvDWZWwo- les épisodes des Crash courses histoire des sciences : https://www.youtube.com/watch?v=-hjGgFgnYIA&list=PL8dPuuaLjXtNppY8ZHMPDH5TKK2UpU8Ng (chaîne en anglais mais il y a aussi des sous-titres en anglais pour vous aider) Les Crash courses histoire des sciences, philosophie et psychologie sont vraiment d'excellente qualité, je vous les recommande tous très vivement.
Introduction
1) Vous
étudiez l’histoire, la sociologie, l’économie, les mathématiques : quelles
sont les différences de connaissances et de méthodes de ces disciplines ?
Quels sont leurs points communs ? Pourquoi ?
2) Citez
des exemples de sciences qui ont utilisé des méthodes issues d’autres sciences :
qu’est-ce que cela leur a apporté ? A quelles conditions ce transfert de
méthodes peut-il fonctionner ?
A.
Le savoir scientifique
provient-il de l’expérience ? Démonstration, théorie et expérience
Problèmes : comment se constitue le
savoir scientifique ? Est-ce une accumulation de découvertes ? Une expérience
suffit-elle à fonder une connaissance ? Quelles sont les différences entre
la découverte d’un savoir et sa démonstration ? Qu’est-ce qui garantit la validité
d’un savoir scientifique : sa conformité à l’expérience, sa démonstration ou sa
possibilité de remise en question ?
=> Ce sont des questions
d’épistémologie, c’est-à-dire sur les conditions et les formes du savoir.
-
Sciences formelles :
mathématiques et logique. Démonstration.
-
Sciences expérimentales
Activités : Citez
différents types et exemples de sciences fondées sur l’expérience. Quel rôle
joue alors l’expérience ?
1) La science est fondée sur l’expérience, dont elle cherche les
lois
Texte 1
Il est désormais évident, du point de vue vraiment
scientifique, que toute observation isolée, entièrement empirique, est
essentiellement oiseuse , et même radicalement incertaine ; la science ne saurait employer que celles qui se rattachent, au moins
hypothétiquement, à une loi quelconque ; c’est une telle liaison qui
constitue la principale différence caractéristique entre les observations des
savants et celles du vulgaire , qui cependant embrassent essentiellement les
mêmes faits, avec la seule distinction des points de vue ; les observations
autrement conduites ne peuvent servir tout au plus qu’à titre de matériaux
provisoires, exigeant même le plus souvent une indispensable révision
ultérieure.
COMTE, Cours
de philosophie positive.
2) Mais l’expérience est construite par la théorie scientifique :
l’expérimentation teste la théorie
Texte 2
On donne le nom d’observateur à celui qui applique les procédés d’investigation
simples ou complexes à l’étude de phénomènes qu’il ne fait pas varier et qu’il
recueille, par conséquent, tels que la nature les lui offre. On donne le
nom d’expérimentateur à celui qui
emploie les procédés d’investigation simples ou complexes pour faire varier ou
modifier, dans un but quelconque, les phénomènes naturels et les faire
apparaître dans des circonstances ou dans des conditions dans lesquelles la
nature ne les lui présentait pas. Dans ce sens, l’observation est l’investigation d’un phénomène naturel, et
l’expérience est l’investigation d’un phénomène modifié par l’investigateur.
(...) La simple constatation des faits
ne pourra jamais parvenir à constituer une science. On aurait beau
multiplier les faits ou les observations, que cela n’en apprendrait pas
davantage. Pour s’instruire, il faut
nécessairement raisonner sur ce que l’on a observé, comparer les faits et les
juger par d’autres faits qui servent de contrôle. Mais une observation peut
servir de contrôle à une autre observation. De sorte qu’une science
d’observation sera simplement une science faite avec des observations,
c’est-à-dire une science dans laquelle on raisonnera sur des faits
d’observation naturelle, tels que nous les avons définis plus haut. Une science expérimentale ou
d’expérimentation sera une science faite avec des expériences, c’est-à-dire
dans laquelle on raisonnera sur des faits d’expérimentation obtenus dans des
conditions que l’expérimentateur a créées et déterminées lui-même.
BERNARD, Introduction
à l’étude de la médecine expérimentale
Texte 3
Entrez dans ce laboratoire; approchez-vous de cette
table qu'encombrent une foule d'appareils, une pile électrique, des fils de
cuivre entourés de soie, des godets pleins de mercure, des bobines, un barreau
de fer qui porte un miroir; un observateur enfonce dans de petits trous la tige
métallique d'une fiche dont la tête est en ébonite; le fer oscille et, par le
miroir qui lui est lié, renvoie sur une règle en celluloïd une bande lumineuse
dont l'observateur suit les mouvements ; voilà bien sans doute une expérience ;
au moyen du va-et-vient de cette tache lumineuse, ce physicien observe
minutieusement les oscillations du morceau de fer. Demandez-lui maintenant ce
qu'il fait; va-t-il vous répondre: « J'étudie les oscillations du barreau de
fer qui porte ce miroir » ? Non, il vous répondra qu'il mesure la résistance
électrique d'une bobine. Si vous vous étonnez, si vous lui demandez quel sens
ont ces mots et quel rapport ils ont avec les phénomènes qu'il a constatés, que
vous avez constatés en même temps que lui, il vous répondra que votre question
nécessiterait de trop longues explications et vous enverra suivre un cours
d'électricité. C'est qu'en effet
l'expérience que vous avez vu faire, comme toute expérience de Physique,
comporte deux parties. Elle consiste, en premier lieu, dans l'observation de
certains faits; pour faire cette observation, il suffit d'être attentif et
d'avoir les sens suffisamment déliés. Elle consiste, en second lieu, dans
l'interprétation des faits observés; pour pouvoir faire cette interprétation,
il ne suffit pas d'avoir l'attention en éveil et l'œil exercé; il faut
connaître les théories admises, il faut savoir les appliquer, il faut être
physicien.
DUHEM, La
théorie physique
Texte 4
Déjà
l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir
avant de regarder,
qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n'est jamais la
première observation qui est la bonne. L'observation
scientifique est toujours une observation polémique ; elle confirme ou infirme
une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation ; elle montre
en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l'immédiat ;
elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas.
Naturellement, dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le
caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié,
filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des
instruments. Or les instruments ne
sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de
toutes parts la marque théorique.
BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique
3) Paradigmes et révolutions scientifiques : nouveaux critères
de vérité et nouvelle conception de la réalité
Texte 5
Il apparaissait donc nécessaire de pouvoir disposer
d'un autre critère de démarcation. Et j'ai proposé […] de prendre pour critère
en la matière la possibilité, pour un
système théorique, d'être réfuté ou invalidé. Selon cette conception, que
je continue toujours de défendre, un
système doit être tenu pour scientifique seulement s'il formule des assertions
pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour
provoquer des conflits de ce type, c'est-à-dire pour réfuter ce système permettent
en fait de le tester. Pouvoir être testé, c'est pouvoir être réfuté, et cette
propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation. Cette conception voit dans la démarche
critique la caractéristique essentielle de la science. Le savant doit donc
étudier les théories sous l'angle de leur aptitude à être examinées de manière
critique : il se demande si celles-ci se prêtent à des critiques de toute
nature et, lorsque tel est le cas, si elles sont en mesure d'y résister. La
théorie de Newton, par exemple, prédisait certains écarts par rapport aux lois
de Kepler (en raison des interactions entre planètes), alors que ceux-ci
n'avaient pas été observés. Elle s'exposait en conséquence à des tentatives de
réfutation dont l'échec allait signifier le succès de cette théorie. La théorie
einsteinienne a été testée de manière analogue. Et de fait, tous les tests effectifs constituent des tentatives de
réfutation. Ce n'est que lorsqu'une théorie est parvenue à supporter les
contraintes de ce genre d'efforts qu'on pourra affirmer qu'elle se trouve
confirmée ou corroborée par l'expérience."
POPPER, Conjectures
et réfutations
Texte 6
"Nous pouvons si nous le voulons distinguer
quatre étapes différentes au cours desquelles pourrait être réalisée la mise à
l'épreuve d'une théorie. Il y a, tout
d'abord, la comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on
éprouve la cohérence interne du système. En deuxième lieu s'effectue la
recherche de la forme logique de la théorie, qui a pour objet de déterminer si
elle constituerait un progrès scientifique au cas où elle survivrait à nos
divers tests. Enfin, la théorie est mise à l'épreuve en procédant à des
applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées.
Le but de
cette dernière espèce de test est de découvrir jusqu'à quel point les
conséquences nouvelles de la théorie quelle que puisse être la nouveauté de ses
assertions font face aux exigences de la pratique, surgies d'expérimentations
purement scientifiques ou d'applications techniques concrètes. Ici, encore, la
procédure consistant à mettre à l'épreuve est déductive. A l'aide d'autres énoncés préalablement acceptés, l'on déduit de la
théorie certains énoncés singuliers que nous pouvons appeler « prédictions » et
en particulier des prévisions que nous pouvons facilement contrôler ou
réaliser. Parmi ces énoncés l'on choisit ceux qui sont en contradiction avec
elle. Nous essayons ensuite de prendre une décision en faveur (ou à
l'encontre) de ces énoncés déduits en les comparant aux résultats des
applications pratiques et des expérimentations.
Si cette
décision est positive, c'est-à-dire si les conclusions singulières se révèlent
acceptables, ou vérifiées, la théorie a provisoirement réussi son test : nous
n'avons pas trouvé de raisons de l'écarter. Mais si la décision est négative
ou, en d'autres termes, si, les conclusions ont été falsifiées, cette
falsification falsifie également la théorie dont elle était logiquement
déduite. Il faudrait noter ici qu'une décision ne peut soutenir la théorie que
pour un temps car des décisions négatives peuvent toujours l'éliminer
ultérieurement. Tant qu'une théorie
résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu'une autre ne la remplace
pas avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons
dire que cette théorie a « fait ses preuves » ou qu'elle est « corroborée »."
POPPER,
La logique de la découverte scientifique
Texte 7
Une nouvelle
théorie n’entre pas obligatoirement en conflit avec celles qui l’ont précédée. Elle pourrait concerner exclusivement des phénomènes
jusque-là inconnus, comme la théorie des quanta concerne des phénomènes
infra-atomiques inconnus avant le XXème siècle. Ou encore, la nouvelle théorie pourrait être simplement d’un niveau plus élevé que
celles que l’on connaissait jusque-là, susceptible
de lier ensemble tout un groupe de théories de niveau inférieur sans apporter à
aucune d’elles de changement important. (...) Si tout cela se vérifiait, le
développement scientifique serait en son essence cumulatif. Les phénomènes d’un
genre nouveau révèleraient simplement l’ordre régnant dns un domaine où
jusque-là on n’en avait reconnu aucun. Dans l’évolution de la science, une
connaissance nouvelle remplacerait l’ignorance, au lieu de remplacer une notion
différente et incompatible.
Il est évident que la science aurait pu se
développer ainsi d’une manière purement cumulative. Nombre de gens d’ailleurs
imaginent ainsi ses progrès, et un nombre encore plus grand semblent supposer
que l’accumulation est en tout cas l’idéal que révélerait le développement
historique, si seulement il n’était pas si souvent déformé par les habitudes
humaines. (...)
Néanmoins, malgré l’extrême plausibilité de cette
image idéale, nous avons lieu de nous demander de plus en plus s’il est
possible que ce soit bien là une image de la science. A partir de l’apparition du premier paradigme, l’assimilation de toute
théorie nouvelle et de presque tous les phénomènes d’un genre nouveau a exigé
en fait l’abandon d’un paradigme antérieur, suivi d’un conflit entre des écoles
concurrentes de pensée scientifique. L’acquisition cumulative de nouveautés
non attendues se révèle être une exception, très rarement vérifiée, à la règle
du développement scientifique. Quiconque observe sérieusement la réalité
scientifique, en arrive obligatoirement à penser que la science ne se développe
pas dans le sens de l’idéal suggéré par l’image de son aspect cumulatif.
KUHN, La
structure des révolutions scientifiques
Texte 8
Le
terme de paradigme est utilisé dans deux sens différents. D’une part, il représente tout l’ensemble des croyances, de valeurs
reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné.
D’autre part, il dénote un élément isolé de cet ensemble : les solutions
d’énigmes concrètes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent remplacer
les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui
subsistent dans la science normale. (...)
L'utilité d'un paradigme est de renseigner les
scientifiques sur les entités que la nature contient ou ne contient pas et sur
la façon dont elles se comportent. Ces renseignements fournissent une carte
dont les détails seront élucidés par les travaux scientifiques plus avancés. En apprenant un paradigme, l'homme de
science acquiert à la fois une théorie, des méthodes et des critères de
jugement, généralement en un mélange inextricable.
KUHN,
La structure des révolutions scientifiques
B.
Les sciences humaines
sont-elles des sciences ?
Activités : quelles
sont les sciences humaines qui vous semblent avoir découvert des savoirs
incontestables ? Décrivez les méthodes utilisées pour atteindre de tels
savoirs.
Problèmes :
Quelles
sont les spécificités des sciences humaines ? En quoi les sciences
humaines se ressemblent-elles ? Quelles peuvent-être leurs différences
internes ? Dans quelle mesure les sciences humaines se distinguent des
sciences dites « naturelles » (celles-ci forment-elles un groupe
homogène ?) ?
Souvent les sciences humaines traitent d’objets que
la philosophie étudie aussi : comment les savoirs issus des sciences
humaines peuvent-ils nourrir la philosophie ?
1)
Les sciences humaines
n’utilisent pas les mêmes méthodes que les sciences dites naturelles :
compréhension vs explication
Texte 1
Les sciences
de l’esprit ont le droit de déterminer elles-mêmes leur méthode en fonction de
leur objet.
Les sciences doivent partir des concepts les plus universels de la
méthodologie, essayer de les appliquer à leurs objets particuliers et arriver
ainsi à se constituer dans leur domaine propre des méthodes et des principes
plus précis, tout comme ce fut le cas pour les sciences de la nature. Ce n’est
pas en transportant dans notre domaine les méthodes trouvées par les grands
savants que nous nous montrons leurs vrais disciples, mais en adaptant notre
recherche à la nature de ses objets et en nous comportant ainsi envers notre
science comme eux envers la leur. Les
sciences de l’esprit se distinguent tout d’abord des sciences de la nature en
ce que celles-ci ont pour objet des faits qui se présentent à la conscience
comme des phénomènes donnés isolément de l’extérieur, tandis qu’ils se
présentent à nous-mêmes de l’intérieur comme une réalité et un ensemble vivant.
Il en résulte qu’il n’existe d’ensemble cohérent de la nature dans les sciences
physiques et naturelles que grâce à des raisonnements qui complètent les
données de l’expérience au moyen d’une combinaison d’hypothèses ; dans les
sciences de l’esprit, par contre, l’ensemble de la vie psychique constitue
partout une donnée primitive et fondamentale. Nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique.
DILTHEY, Le
monde de l’esprit
2)
Les difficultés
épistémologiques des sciences humaines
Texte 2
Seulement la situation des sciences de l’homme est
bien plus complexe encore car le sujet
qui observe ou expérimente sur lui-même ou autrui peut-être, d’une part,
modifié par les phénomènes observés, et, d’autre part, source de modifications
quant au déroulement et à la nature même de ces phénomènes. C’est en
fonction de telles situations que le fait d’être à la fois sujet et objet crée,
dans le cas des sciences de l’homme, des difficultés supplémentaires par
rapport à celles de la nature (...). En d’autres termes, la décentration qui est nécessaire à l’objectivité est bien plus
difficile dans le cas où l’objet est formé de sujets et cela pour deux
raisons, toutes deux assez systématiques. La première est que la frontière entre le sujet égocentrique et
le sujet épistémique est d’autant moins nette que le moi de l’observateur est
engagé dans les phénomènes qu’il devrait pouvoir étudier du dehors. La
seconde est que dans la mesure même où
l’observateur est « engagé » et attribue des valeurs aux faits qui
l’intéressent, il est porté à croire les connaître intuitivement et sent
d’autant moins la nécessité des techniques objectives.
PIAGET, Epistémologie
des sciences de l’homme.
3) Mais ces difficultés ne sont pas propres aux sciences humaines,
qui ont leur propre scientificité
Texte 3
Et voilà de quoi ébranler sans doute une autre
doctrine, si souvent enseignée naguère. “L’historien ne saurait choisir les
faits. Choisir ? de quel droit ? au nom de quel principe ? Choisir, la négation
de l’œuvre scientifique…” Mais toute
l’histoire est choix.
Elle l’est, du fait même du hasard qui a détruit
ici, et là sauvegardé les vestiges du passé. Elle l’est du fait de l’homme :
dès que les documents abondent, il abrège, simplifie, met l’accent sur ceci,
passe l’éponge sur cela. Elle l’est du fait, surtout, que l’historien crée ses
matériaux ou, si l’on veut, les recrée : l’historien, qui ne va pas rôdant au
hasard à travers le passé, comme un chiffonnier en quête de trouvailles, mais
part avec, en tête, un dessein précis, un problème à résoudre, une hypothèse de
travail à vérifier. Dire : “ce n’est
point attitude scientifique”, n’est-ce pas montrer, simplement, que de la
science, de ses conditions et de ses méthodes, on ne sait pas grand-chose ?
Le biologiste mettant l’œil à l’oculaire de son microscope, saisirait-il donc
d’une prise immédiate des faits bruts ?
L’essentiel de son travail consiste à créer, pour ainsi dire, les objets de son
observation, à l’aide de techniques souvent fort compliquées. Et puis, ces
objets acquis, à “lire” ses coupes et ses préparations. Tâche singulièrement
ardue ; car décrire ce qu’on voit, passe encore; voir ce qu’il faut décrire, voilà le plus difficile.
FEBVRE, Combats
pour l’histoire
Texte 4
C’est que
l’anthropologie ne saurait, en aucun cas, accepter de se laisser détacher soit
des sciences exactes et naturelles (auxquelles la relie l’anthropologie
physique), soit des sciences humaines (auxquelles elle tient par toutes ces
fibres que lui tissent la géographie, l’archéologie et la linguistique). (...)
L’homme ne se
contente plus de connaître tout en connaissant davantage, il se voit lui-même
connaissant, et l’objet véritable de sa recherche devient un peu plus, chaque
jour, ce couple indissoluble formé par une humanité qui transforme le monde et
qui se transforme elle-même au cours de ses opérations. (...)
La première
ambition de l’anthropologie est d’atteindre à l’objectivité, d’en inculquer le
goût et d’en enseigner les méthodes. Cette notion d’objectivité doit être pourtant
précisée ; il ne s’agit pas seulement d’une objectivité permettant à celui qui
la pratique de faire abstraction de ses croyances, de ses préférences et de ses
préjugés ; car une telle objectivité caractérise toutes les sciences sociales,
sinon elles ne pourraient prétendre au titre de science. (...) Il ne s’agit pas seulement de s’élever
au-dessus des valeurs propres à la société ou au groupe de l’observateur, mais
bien de ses méthodes de pensée ; d’atteindre à une formulation valide, non
seulement pour un observateur honnête et objectif, mais pour tous les
observateurs possibles. L’anthropologue ne fait donc pas seulement taire
ses sentiments : il façonne de nouvelles
catégories mentales, contribue à introduire des notions d’espace et de temps,
d’opposition et de contradiction, aussi étrangères à la pensée traditionnelle
que celles qu’on rencontre aujourd’hui dans certaines branches des sciences
naturelles. (...) Et pourtant, cette recherche intransigeante d’une
objectivité totale ne peut se dérouler qu’à
un niveau où les phénomènes conservent une signification humaine et restent
compréhensibles — intellectuellement et sentimentalement — pour une conscience
individuelle. (...) Les réalités à quoi prétendent la science économique et
la démographie ne sont pas moins objectives, mais on ne songe pas à leur
demander d’avoir un sens sur le plan de l’expérience vécue du sujet, qui ne
rencontre jamais dans son devenir historique des objets tels que la valeur, la
rentabilité, la productivité marginale ou la population maximum. […]
La seconde ambition de l’anthropologie est la
totalité. Elle voit, dans la vie
sociale, un système dont tous les aspects sont organiquement liés. Elle
reconnaît volontiers qu’il est indispensable, pour approfondir la connaissance
de certains types de phénomènes, de morceler un ensemble comme le font le
psychologue social, le juriste, l’économiste, le spécialiste de science
politique. Et elle s’intéresse trop à la méthode des modèles (qu’elle pratique
elle-même dans certains domaines comme celui de la parenté) pour ne pas
admettre la légitimité de ces modèles particuliers. Mais, quand l’anthropologue cherche à construire des modèles, c’est
toujours en vue, et avec l’arrière-pensée, de découvrir une forme commune aux
diverses manifestations de la vie sociale.
LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale