samedi 29 septembre 2018

Chapitre 2 : Quel est l'objet de la science ?


Pour préparer le chapitre, vous pouvez aller voir- l'épisode suivant de Dirty biology sur les difficultés à définir la vie en biologie (et en philosophie!) : https://www.youtube.com/watch?v=d6u6Xhsg-qk- les épisodes suivants de Monsieur Phi : https://www.youtube.com/watch?v=2DOYvDWZWwo&list=PLuL1TsvlrSnfFoWrxq-ai2tSWABRroQKT
 https://www.youtube.com/watch?v=J5dTXVbS3Vghttps://www.youtube.com/watch?v=enZpq8jvFEshttps://www.youtube.com/watch?v=Gqu6Di353okhttps://www.youtube.com/watch?v=2DOYvDWZWwo- les épisodes des Crash courses histoire des sciences : https://www.youtube.com/watch?v=-hjGgFgnYIA&list=PL8dPuuaLjXtNppY8ZHMPDH5TKK2UpU8Ng (chaîne en anglais mais il y a aussi des sous-titres en anglais pour vous aider) Les Crash courses histoire des sciences, philosophie et psychologie sont vraiment d'excellente qualité, je vous les recommande tous très vivement. 


Introduction

1)      Vous étudiez l’histoire, la sociologie, l’économie, les mathématiques : quelles sont les différences de connaissances et de méthodes de ces disciplines ? Quels sont leurs points communs ? Pourquoi ?
2)      Citez des exemples de sciences qui ont utilisé des méthodes issues d’autres sciences : qu’est-ce que cela leur a apporté ? A quelles conditions ce transfert de méthodes peut-il fonctionner ?

A.              Le savoir scientifique provient-il de l’expérience ? Démonstration, théorie et expérience

Problèmes : comment se constitue le savoir scientifique ? Est-ce une accumulation de découvertes ? Une expérience suffit-elle à fonder une connaissance ? Quelles sont les différences entre la découverte d’un savoir et sa démonstration ? Qu’est-ce qui garantit la validité d’un savoir scientifique : sa conformité à l’expérience, sa démonstration ou sa possibilité de remise en question ?
=> Ce sont des questions d’épistémologie, c’est-à-dire sur les conditions et les formes du savoir.

-        Sciences formelles : mathématiques et logique. Démonstration.

-        Sciences expérimentales

Activités : Citez différents types et exemples de sciences fondées sur l’expérience. Quel rôle joue alors l’expérience ?

1)      La science est fondée sur l’expérience, dont elle cherche les lois

Texte 1
Il est désormais évident, du point de vue vraiment scientifique, que toute observation isolée, entièrement empirique, est essentiellement oiseuse , et même radicalement incertaine ; la science ne saurait employer que celles qui se rattachent, au moins hypothétiquement, à une loi quelconque ; c’est une telle liaison qui constitue la principale différence caractéristique entre les observations des savants et celles du vulgaire , qui cependant embrassent essentiellement les mêmes faits, avec la seule distinction des points de vue ; les observations autrement conduites ne peuvent servir tout au plus qu’à titre de matériaux provisoires, exigeant même le plus souvent une indispensable révision ultérieure.
COMTE, Cours de philosophie positive.

2)      Mais l’expérience est construite par la théorie scientifique : l’expérimentation teste la théorie

Texte 2
On donne le nom d’observateur à celui qui applique les procédés d’investigation simples ou complexes à l’étude de phénomènes qu’il ne fait pas varier et qu’il recueille, par conséquent, tels que la nature les lui offre. On donne le nom d’expérimentateur à celui qui emploie les procédés d’investigation simples ou complexes pour faire varier ou modifier, dans un but quelconque, les phénomènes naturels et les faire apparaître dans des circonstances ou dans des conditions dans lesquelles la nature ne les lui présentait pas. Dans ce sens, l’observation est l’investigation d’un phénomène naturel, et l’expérience est l’investigation d’un phénomène modifié par l’investigateur. (...) La simple constatation des faits ne pourra jamais parvenir à constituer une science. On aurait beau multiplier les faits ou les observations, que cela n’en apprendrait pas davantage. Pour s’instruire, il faut nécessairement raisonner sur ce que l’on a observé, comparer les faits et les juger par d’autres faits qui servent de contrôle. Mais une observation peut servir de contrôle à une autre observation. De sorte qu’une science d’observation sera simplement une science faite avec des observations, c’est-à-dire une science dans laquelle on raisonnera sur des faits d’observation naturelle, tels que nous les avons définis plus haut. Une science expérimentale ou d’expérimentation sera une science faite avec des expériences, c’est-à-dire dans laquelle on raisonnera sur des faits d’expérimentation obtenus dans des conditions que l’expérimentateur a créées et déterminées lui-même.

BERNARD, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Texte 3

Entrez dans ce laboratoire; approchez-vous de cette table qu'encombrent une foule d'appareils, une pile électrique, des fils de cuivre entourés de soie, des godets pleins de mercure, des bobines, un barreau de fer qui porte un miroir; un observateur enfonce dans de petits trous la tige métallique d'une fiche dont la tête est en ébonite; le fer oscille et, par le miroir qui lui est lié, renvoie sur une règle en celluloïd une bande lumineuse dont l'observateur suit les mouvements ; voilà bien sans doute une expérience ; au moyen du va-et-vient de cette tache lumineuse, ce physicien observe minutieusement les oscillations du morceau de fer. Demandez-lui maintenant ce qu'il fait; va-t-il vous répondre: « J'étudie les oscillations du barreau de fer qui porte ce miroir » ? Non, il vous répondra qu'il mesure la résistance électrique d'une bobine. Si vous vous étonnez, si vous lui demandez quel sens ont ces mots et quel rapport ils ont avec les phénomènes qu'il a constatés, que vous avez constatés en même temps que lui, il vous répondra que votre question nécessiterait de trop longues explications et vous enverra suivre un cours d'électricité. C'est qu'en effet l'expérience que vous avez vu faire, comme toute expérience de Physique, comporte deux parties. Elle consiste, en premier lieu, dans l'observation de certains faits; pour faire cette observation, il suffit d'être attentif et d'avoir les sens suffisamment déliés. Elle consiste, en second lieu, dans l'interprétation des faits observés; pour pouvoir faire cette interprétation, il ne suffit pas d'avoir l'attention en éveil et l'œil exercé; il faut connaître les théories admises, il faut savoir les appliquer, il faut être physicien.

DUHEM, La théorie physique

Texte 4

Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la bonne. L'observation scientifique est toujours une observation polémique ; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation ; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l'immédiat ; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.

BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique

3)      Paradigmes et révolutions scientifiques : nouveaux critères de vérité et nouvelle conception de la réalité

Texte 5
Il apparaissait donc nécessaire de pouvoir disposer d'un autre critère de démarcation. Et j'ai proposé […] de prendre pour critère en la matière la possibilité, pour un système théorique, d'être réfuté ou invalidé. Selon cette conception, que je continue toujours de défendre, un système doit être tenu pour scientifique seulement s'il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c'est-à-dire pour réfuter ce système permettent en fait de le tester. Pouvoir être testé, c'est pouvoir être réfuté, et cette propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation. Cette conception voit dans la démarche critique la caractéristique essentielle de la science. Le savant doit donc étudier les théories sous l'angle de leur aptitude à être examinées de manière critique : il se demande si celles-ci se prêtent à des critiques de toute nature et, lorsque tel est le cas, si elles sont en mesure d'y résister. La théorie de Newton, par exemple, prédisait certains écarts par rapport aux lois de Kepler (en raison des interactions entre planètes), alors que ceux-ci n'avaient pas été observés. Elle s'exposait en conséquence à des tentatives de réfutation dont l'échec allait signifier le succès de cette théorie. La théorie einsteinienne a été testée de manière analogue. Et de fait, tous les tests effectifs constituent des tentatives de réfutation. Ce n'est que lorsqu'une théorie est parvenue à supporter les contraintes de ce genre d'efforts qu'on pourra affirmer qu'elle se trouve confirmée ou corroborée par l'expérience."

POPPER, Conjectures et réfutations
Texte 6

"Nous pouvons si nous le voulons distinguer quatre étapes différentes au cours desquelles pourrait être réalisée la mise à l'épreuve d'une théorie. Il y a, tout d'abord, la comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on éprouve la cohérence interne du système. En deuxième lieu s'effectue la recherche de la forme logique de la théorie, qui a pour objet de déterminer si elle constituerait un progrès scientifique au cas où elle survivrait à nos divers tests. Enfin, la théorie est mise à l'épreuve en procédant à des applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées.
    Le but de cette dernière espèce de test est de découvrir jusqu'à quel point les conséquences nouvelles de la théorie quelle que puisse être la nouveauté de ses assertions font face aux exigences de la pratique, surgies d'expérimentations purement scientifiques ou d'applications techniques concrètes. Ici, encore, la procédure consistant à mettre à l'épreuve est déductive. A l'aide d'autres énoncés préalablement acceptés, l'on déduit de la théorie certains énoncés singuliers que nous pouvons appeler « prédictions » et en particulier des prévisions que nous pouvons facilement contrôler ou réaliser. Parmi ces énoncés l'on choisit ceux qui sont en contradiction avec elle. Nous essayons ensuite de prendre une décision en faveur (ou à l'encontre) de ces énoncés déduits en les comparant aux résultats des applications pratiques et des expérimentations.
    Si cette décision est positive, c'est-à-dire si les conclusions singulières se révèlent acceptables, ou vérifiées, la théorie a provisoirement réussi son test : nous n'avons pas trouvé de raisons de l'écarter. Mais si la décision est négative ou, en d'autres termes, si, les conclusions ont été falsifiées, cette falsification falsifie également la théorie dont elle était logiquement déduite. Il faudrait noter ici qu'une décision ne peut soutenir la théorie que pour un temps car des décisions négatives peuvent toujours l'éliminer ultérieurement. Tant qu'une théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu'une autre ne la remplace pas avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons dire que cette théorie a « fait ses preuves » ou qu'elle est « corroborée »."

 POPPER, La logique de la découverte scientifique

Texte 7

Une nouvelle théorie n’entre pas obligatoirement en conflit avec celles qui l’ont précédée. Elle pourrait concerner exclusivement des phénomènes jusque-là inconnus, comme la théorie des quanta concerne des phénomènes infra-atomiques inconnus avant le XXème siècle. Ou encore, la nouvelle théorie pourrait être simplement d’un niveau plus élevé que celles que l’on connaissait jusque-là, susceptible de lier ensemble tout un groupe de théories de niveau inférieur sans apporter à aucune d’elles de changement important. (...) Si tout cela se vérifiait, le développement scientifique serait en son essence cumulatif. Les phénomènes d’un genre nouveau révèleraient simplement l’ordre régnant dns un domaine où jusque-là on n’en avait reconnu aucun. Dans l’évolution de la science, une connaissance nouvelle remplacerait l’ignorance, au lieu de remplacer une notion différente et incompatible.
Il est évident que la science aurait pu se développer ainsi d’une manière purement cumulative. Nombre de gens d’ailleurs imaginent ainsi ses progrès, et un nombre encore plus grand semblent supposer que l’accumulation est en tout cas l’idéal que révélerait le développement historique, si seulement il n’était pas si souvent déformé par les habitudes humaines. (...)
Néanmoins, malgré l’extrême plausibilité de cette image idéale, nous avons lieu de nous demander de plus en plus s’il est possible que ce soit bien là une image de la science. A partir de l’apparition du premier paradigme, l’assimilation de toute théorie nouvelle et de presque tous les phénomènes d’un genre nouveau a exigé en fait l’abandon d’un paradigme antérieur, suivi d’un conflit entre des écoles concurrentes de pensée scientifique. L’acquisition cumulative de nouveautés non attendues se révèle être une exception, très rarement vérifiée, à la règle du développement scientifique. Quiconque observe sérieusement la réalité scientifique, en arrive obligatoirement à penser que la science ne se développe pas dans le sens de l’idéal suggéré par l’image de son aspect cumulatif.

KUHN, La structure des révolutions scientifiques

Texte 8

Le terme de paradigme est utilisé dans deux sens différents. D’une part, il représente tout l’ensemble des croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné. D’autre part, il dénote un élément isolé de cet ensemble : les solutions d’énigmes concrètes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent remplacer les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui subsistent dans la science normale. (...)
L'utilité d'un paradigme est de renseigner les scientifiques sur les entités que la nature contient ou ne contient pas et sur la façon dont elles se comportent. Ces renseignements fournissent une carte dont les détails seront élucidés par les travaux scientifiques plus avancés. En apprenant un paradigme, l'homme de science acquiert à la fois une théorie, des méthodes et des critères de jugement, généralement en un mélange inextricable.

KUHN, La structure des révolutions scientifiques

B.              Les sciences humaines sont-elles des sciences ?

Activités : quelles sont les sciences humaines qui vous semblent avoir découvert des savoirs incontestables ? Décrivez les méthodes utilisées pour atteindre de tels savoirs.

Problèmes : Quelles sont les spécificités des sciences humaines ? En quoi les sciences humaines se ressemblent-elles ? Quelles peuvent-être leurs différences internes ? Dans quelle mesure les sciences humaines se distinguent des sciences dites « naturelles » (celles-ci forment-elles un groupe homogène ?) ?
Souvent les sciences humaines traitent d’objets que la philosophie étudie aussi : comment les savoirs issus des sciences humaines peuvent-ils nourrir la philosophie ?

1)      Les sciences humaines n’utilisent pas les mêmes méthodes que les sciences dites naturelles : compréhension vs explication

Texte 1
Les sciences de l’esprit ont le droit de déterminer elles-mêmes leur méthode en fonction de leur objet. Les sciences doivent partir des concepts les plus universels de la méthodologie, essayer de les appliquer à leurs objets particuliers et arriver ainsi à se constituer dans leur domaine propre des méthodes et des principes plus précis, tout comme ce fut le cas pour les sciences de la nature. Ce n’est pas en transportant dans notre domaine les méthodes trouvées par les grands savants que nous nous montrons leurs vrais disciples, mais en adaptant notre recherche à la nature de ses objets et en nous comportant ainsi envers notre science comme eux envers la leur. Les sciences de l’esprit se distinguent tout d’abord des sciences de la nature en ce que celles-ci ont pour objet des faits qui se présentent à la conscience comme des phénomènes donnés isolément de l’extérieur, tandis qu’ils se présentent à nous-mêmes de l’intérieur comme une réalité et un ensemble vivant. Il en résulte qu’il n’existe d’ensemble cohérent de la nature dans les sciences physiques et naturelles que grâce à des raisonnements qui complètent les données de l’expérience au moyen d’une combinaison d’hypothèses ; dans les sciences de l’esprit, par contre, l’ensemble de la vie psychique constitue partout une donnée primitive et fondamentale. Nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique.

DILTHEY, Le monde de l’esprit

2)      Les difficultés épistémologiques des sciences humaines

Texte 2
Seulement la situation des sciences de l’homme est bien plus complexe encore car le sujet qui observe ou expérimente sur lui-même ou autrui peut-être, d’une part, modifié par les phénomènes observés, et, d’autre part, source de modifications quant au déroulement et à la nature même de ces phénomènes. C’est en fonction de telles situations que le fait d’être à la fois sujet et objet crée, dans le cas des sciences de l’homme, des difficultés supplémentaires par rapport à celles de la nature (...). En d’autres termes, la décentration qui est nécessaire à l’objectivité est bien plus difficile dans le cas où l’objet est formé de sujets et cela pour deux raisons, toutes deux assez systématiques. La première est que la frontière entre le sujet égocentrique et le sujet épistémique est d’autant moins nette que le moi de l’observateur est engagé dans les phénomènes qu’il devrait pouvoir étudier du dehors. La seconde est que dans la mesure même où l’observateur est « engagé » et attribue des valeurs aux faits qui l’intéressent, il est porté à croire les connaître intuitivement et sent d’autant moins la nécessité des techniques objectives.

PIAGET, Epistémologie des sciences de l’homme.
  
3)      Mais ces difficultés ne sont pas propres aux sciences humaines, qui ont leur propre scientificité

Texte 3
Et voilà de quoi ébranler sans doute une autre doctrine, si souvent enseignée naguère. “L’historien ne saurait choisir les faits. Choisir ? de quel droit ? au nom de quel principe ? Choisir, la négation de l’œuvre scientifique…” Mais toute l’histoire est choix.
Elle l’est, du fait même du hasard qui a détruit ici, et là sauvegardé les vestiges du passé. Elle l’est du fait de l’homme : dès que les documents abondent, il abrège, simplifie, met l’accent sur ceci, passe l’éponge sur cela. Elle l’est du fait, surtout, que l’historien crée ses matériaux ou, si l’on veut, les recrée : l’historien, qui ne va pas rôdant au hasard à travers le passé, comme un chiffonnier en quête de trouvailles, mais part avec, en tête, un dessein précis, un problème à résoudre, une hypothèse de travail à vérifier. Dire : “ce n’est point attitude scientifique”, n’est-ce pas montrer, simplement, que de la science, de ses conditions et de ses méthodes, on ne sait pas grand-chose ? Le biologiste mettant l’œil à l’oculaire de son microscope, saisirait-il donc d’une prise immédiate des faits bruts ? L’essentiel de son travail consiste à créer, pour ainsi dire, les objets de son observation, à l’aide de techniques souvent fort compliquées. Et puis, ces objets acquis, à “lire” ses coupes et ses préparations. Tâche singulièrement ardue ; car décrire ce qu’on voit, passe encore; voir ce qu’il faut décrire, voilà le plus difficile.
FEBVRE, Combats pour l’histoire

Texte 4
C’est que l’anthropologie ne saurait, en aucun cas, accepter de se laisser détacher soit des sciences exactes et naturelles (auxquelles la relie l’anthropologie physique), soit des sciences humaines (auxquelles elle tient par toutes ces fibres que lui tissent la géographie, l’archéologie et la linguistique). (...)
L’homme ne se contente plus de connaître tout en connaissant davantage, il se voit lui-même connaissant, et l’objet véritable de sa recherche devient un peu plus, chaque jour, ce couple indissoluble formé par une humanité qui transforme le monde et qui se transforme elle-même au cours de ses opérations. (...)
La première ambition de l’anthropologie est d’atteindre à l’objectivité, d’en inculquer le goût et d’en enseigner les méthodes. Cette notion d’objectivité doit être pourtant précisée ; il ne s’agit pas seulement d’une objectivité permettant à celui qui la pratique de faire abstraction de ses croyances, de ses préférences et de ses préjugés ; car une telle objectivité caractérise toutes les sciences sociales, sinon elles ne pourraient prétendre au titre de science. (...) Il ne s’agit pas seulement de s’élever au-dessus des valeurs propres à la société ou au groupe de l’observateur, mais bien de ses méthodes de pensée ; d’atteindre à une formulation valide, non seulement pour un observateur honnête et objectif, mais pour tous les observateurs possibles. L’anthropologue ne fait donc pas seulement taire ses sentiments : il façonne de nouvelles catégories mentales, contribue à introduire des notions d’espace et de temps, d’opposition et de contradiction, aussi étrangères à la pensée traditionnelle que celles qu’on rencontre aujourd’hui dans certaines branches des sciences naturelles. (...) Et pourtant, cette recherche intransigeante d’une objectivité totale ne peut se dérouler qu’à un niveau où les phénomènes conservent une signification humaine et restent compréhensibles — intellectuellement et sentimentalement — pour une conscience individuelle. (...) Les réalités à quoi prétendent la science économique et la démographie ne sont pas moins objectives, mais on ne songe pas à leur demander d’avoir un sens sur le plan de l’expérience vécue du sujet, qui ne rencontre jamais dans son devenir historique des objets tels que la valeur, la rentabilité, la productivité marginale ou la population maximum. […]
La seconde ambition de l’anthropologie est la totalité. Elle voit, dans la vie sociale, un système dont tous les aspects sont organiquement liés. Elle reconnaît volontiers qu’il est indispensable, pour approfondir la connaissance de certains types de phénomènes, de morceler un ensemble comme le font le psychologue social, le juriste, l’économiste, le spécialiste de science politique. Et elle s’intéresse trop à la méthode des modèles (qu’elle pratique elle-même dans certains domaines comme celui de la parenté) pour ne pas admettre la légitimité de ces modèles particuliers. Mais, quand l’anthropologue cherche à construire des modèles, c’est toujours en vue, et avec l’arrière-pensée, de découvrir une forme commune aux diverses manifestations de la vie sociale.

LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale

samedi 22 septembre 2018

N'y a-t-il que des opinions ? Résumé


Résumé

« Tous les goûts sont dans la nature », « ça dépend de chacun », « à chacun sa vérité », « ce n’est que mon opinion » : tant d’expressions signifiant qu’il y a une multitude d’opinions différentes, parfois contradictoires cad ne pouvant coexister. C’est donc un premier fait : il y a des opinions cad des propositions qu’on croit vraies sans avoir toujours de justification, cad de preuve de sa véracité. L’opinion suppose une adhésion du sujet qui croit dans cette idée. Les opinions sont subjectives cad qu’elles dépendent du sujet qui les énonce (#objectives, qui dépend de l’objet et ce sur quoi différents sujets peuvent se mettre d’accord), contingentes car elles pourraient être autres dans un contexte historique social ou culturel différent (#nécessaires : qui est toujours ainsi, ne peut pas être autrement) et relatives au sujet qui les énonce (#absolues, ne dépendant d’aucun référentiel) : les opinions sont des avis formés sur notre expérience personnelle.

« N’y a-t-il que des opinions ? » est une formulation radicale qui pousse à l’extrême ce seul fait qu’il y a des opinions : y a-t-il autre chose qu’elles ? On connaît cependant un certain nombre de vérités, mathématiques, factuelles, qu’on ne remet pas en question. Mais comment être sûr que ce sont bien des vérités ? Comment être sûr qu’il y a autre chose que des opinions subjectives sur le monde ? Parfois on croit posséder une vérité mais ce n’est que notre avis personnel, ce dont on ne se rend pas compte. En sciences mais aussi en morale on peut se rendre compte que ce qu’on croyait vrai et valable universellement était une erreur (le géocentrisme) ou une norme sociale contingente (la place des femmes dans la société).
=> Ce sujet invite à se demander si autre chose que des opinions (la vérité) existe et si on peut la connaître et la distinguer de l’opinion : Comment être sûr que ce qu’on croit vrai n’est pas qu’une opinion masquée ?

I.                Il n’y a que des opinions : les difficultés de la position affirmative (sophistique) et sceptique

A)    Il n’y a que des opinions car il n’y a pas de vérité absolue : les sophistes

Texte 1
But du Théétète : définition de la science pour savoir ce qu’on peut connaître (cad ce sur quoi il est possible de former et posséder un ensemble de vérités) et enseigner (cad transmettre des vérités à autrui).
Théétète et Protagoras sont des sophistes, cad ceux qui prétendent avoir la sagesse. Pour Protagoras, « l’homme est la mesure de toutes choses » : il n’y a pas de vent froid absolu, pour celui qui frissonne le vent est froid, pour l’autre qui le tolère il n’est que tiède. Il n’y a qu’une sensation de froid qui dépend du sujet qui le ressent et de ses capacités de sensation.
=> La science ne peut donc être rien d’autre que l’ensemble des jugements que chaque sujet porte sur les choses.
=>  Pb : pourquoi les sophistes enseignent-ils alors, s’il n’y a rien d’absolu à connaître et qui vaudrait pour tous ?
=>  Parmi la diversité d’opinions, les sophistes cherchent à faire triompher la leur en persuadant leur public, cad en faisant appel à leurs sentiments pour les amener à être d’accord avec eux (#convaincre : faire appel à leur raison). Les sophistes ne sont pas relativistes (= penser que toutes les opinions ont la même valeur et qu’on ne peut en trouver une plus vraie ou meilleure qu’une autre), ils pensent qu’il n’y a que des opinions mais ils cherchent à faire triompher la leur, qu’ils pensent la meilleure. Mais sur quoi se fonde cette hiérarchie entre les opinions ? Il semble bien qu’il faille un critère pour distinguer certaines opinions qui semblent plus vraies que d’autres (Texte 3 : toutes les opinions contradictoires ne peuvent être toutes justes).

B)    Il n’y a que des opinions car on ne peut connaître la vérité : les sceptiques

Texte 2
Sceptique : celui qui doute de tout, cad remet en cause la vérité de chaque affirmation. Il prend toujours des cas limites (ex du tas de sable dont on ôte les grains de sable un par un : quand n’est-il plus un tas de sable ?) pour montrer qu’on ne peut se fier à rien et que les sens nous trompent sans cesse. Il vaut mieux suspendre notre jugement plutôt que d’affirmer une idée fausse, qui risque de nous amener à mal nous conduire. Le but du sceptique est pratique : l’ataraxie, cad ne pas être troublé par ses opinions. En évitant d’affirmer quoi que ce soit, le sceptique évite l’erreur et les souffrances comme l’inquiétude. C’est donc une thèse de suspension du jugement, cad éviter d’affirmer quelque chose, par précaution, pour éviter d’éventuelles conséquences négatives.
=>  Pour le sceptique il n’y a que des opinions car on ne peut jamais être sûr qu’il y a de la vérité et les reconnaître comme des opinions permet de ne pas les prendre, à tort, pour des vérités.
=>  Pb :
o    Dire qu’il ne faut établir aucun dogme car rien n’est sûr c’est déjà affirmer un premier principe de connaissance et de pratique.
o    Les sceptiques continuent de vivre, de marcher, de faire la cuisine, de lacer leurs spartiates : ils possèdent un savoir-faire nécessaire à leur survie. Ils prétendent ne rien connaître, ils n’ont donc pas de savoir théorique (= savoir propositionnel qu’on peut démontrer et exposer) mais ils ont bien un savoir pratique (= savoir-faire, accumulé d’expériences) qu’ils utilisent et qu’ils croient certain.

Pb de ces deux positions : dire qu’il n’y a que des opinions c’est déjà prétendre énoncer une vérité : n’y a-t-il alors qu’une seule vérité, celle qu’il n’y en a pas ? Ou plutôt distingue-t-on mal ce qui peut être de l’ordre de la vérité et de l’ordre de l’opinion ?  Texte 3 : il semble bien que parmi les opinions différentes et contradictoires, certaines soient plus vraies que d’autres. Si on me dit que l’homme est un poisson qui vit en eau douce, je sais bien que c’est faux. Il semble donc qu’il y a bien une norme du vrai avec laquelle on évalue nos opinions et il faut comprendre comment la trouver et comment l’utiliser pour distinguer nos opinions.


II.              Chercher la vérité par-delà les diverses opinions : la philosophie socratique

C’est contre cette multiplicité d’opinions que la philosophie socratique s’est construite comme la recherche de la vérité, en la distinguant de l’opinion. (!!! Le scepticisme est un courant philosophique qui apparaît après Socrate !!! Le plan de la dissertation n’est jamais chronologique, mais logique, selon l’ordre des arguments.)
Le philosophe est celui qui aime la sagesse mais ne la possède pas, il la cherche, alors que le sophiste prétend la posséder. Il est critique car il cherche à distinguer les opinions de la vérité. La première vérité pour Socrate est la conscience de l’ignorance : je sais que je ne sais rien, cad je sais que tout ce que je croyais savoir n’était qu’opinions, mais que je peux trouver un savoir par-delà ces opinions.
Socrate procède par le dialogue : il questionne son adversaire sur ses opinions. Il utilise l’ironie cad feindre l’ignorance en posant des questions aux sophistes pour mettre en évidence leurs incohérences. Le dialogue est un exercice maïeutique (= art de faire accoucher les esprits de la vérité).

Texte 4
Socrate distingue la philosophie de la rhétorique (l’art oratoire, l’art de parler) : le but de la rhétorique est de persuader, elle produit de la croyance et elle utilise des attaques personnelles contre ses adversaires, alors que la philosophie cherche à produire du savoir, à convaincre en utilisant des arguments.
=>  On voit alors que la philosophie est une quête, une méthode de connaissance plutôt qu’une connaissance particulière : il s’agit de mettre en question les évidences partagées par tous, les préjugés (= opinions qui n’ont pas été examinées et mises en doute).

Texte 5 : allégorie de la caverne
Les hommes enchaînés ne voient que des ombres, produites par les sophistes pour les tromper. Il faut qu’un homme soit libéré pour qu’il prenne conscience de son erreur et pour qu’il cherche la vérité, hors de la caverne. La libération est douloureuse, aveuglante. Quand l’homme redescend dans la caverne, les autres hommes, restés dans l’illusion, le haïssent et le tuent.
=>  Les opinions sont un obstacle à la recherche de la vérité : il faut tenter de les dépasser, de s’en extraire pour trouver la vérité, qui est totalement différente de l’opinion. Savoir, c’est dépasser les apparences pour saisir l’essence d’une chose (=cad ce qui est propre à une chose, ce sans quoi elle n’est plus cette chose), qui n’est pas accessible immédiatement. Les apparences sensibles sont trompeuses alors que la réalité intelligible du monde des idées est rationnelle.
=>  La vérité existe donc bien et on peut la distinguer de l’opinion : elle est objective, absolue, universelle, médiate (suite à la critique des préjugés).
=>  Pb : Socrate reconnaît qu’il n’y a parfois pas de vérité sur certains sujets ou que le dialogue n’y parvient pas : ce sont les dialogues aporétiques cad qui rencontrent une aporie (=difficulté à résoudre un problème). Que faire ? Retombe-t-on dans la position sceptique du doute ? Ou dans les premières opinions ?

III.             Savoir distinguer opinion et vérité : méthode d’analyse qui permet de vivre avec les opinions

Par-delà l’acquisition précise de savoirs, c’est la méthode pour distinguer les opinions des vérités qui compte : méthode qui remet en question les évidences, se questionne, pour ne pas prendre abusivement une opinion pour une vérité. Les opinions sont nécessaires à la vie, individuelle et collective, mais il faut les reconnaître comme telles, pour ne pas les confondre avec des vérités.

Texte 7
Pour aller à Larisse, l’opinion vraie (idée non justifiée, intuitive mais par hasard vraie) et la science (connaissance justifiée) permettent toutes deux de bien agir cad d’atteindre le but fixé. Mais l’opinion vraie n’offre aucune garantie qu’elle fonctionne toujours, car elle est hasardeuse. La science permet d’enchaîner les opinions vraies en trouvant un lien logique nécessaire entre les idées.

Texte 8
Les opinions communes partagées par tout un corps social sont utiles pour lier la société car les individus qui forment une société n’ont pas le temps de vérifier toutes leurs opinions, et ces opinions communes partagées forment un terreau idéologique commun qui façonne la société.
Mais pb du texte de Tocqueville : comment évaluer les bonnes ou les mauvaises opinions dogmatiques ? Les fake news, les théories du complot, les idéologies racistes sont-elles des opinions dogmatiques qu’il serait bon de tolérer ? On peut légitimement adopter un regard critique pour distinguer les bonnes des mauvaises opinions dogmatiques : une mauvaise opinion dogmatique pourrait être celle qui n’est que l’opinion d’une majorité, qui exclut la minorité de sa vision du monde et qui cherche à s’imposer par la force (ex : racisme, nazisme).

Ce qui compte c’est bien plutôt la méthode critique d’analyse qui remet en question ce qui semble accepté de tous. Circonscrire ce qui est de l’ordre de l’opinion et de la vérité c’est déjà se questionner et ne pas retomber à un usage naïf des opinions. Quand on a conscience que ce n’est « que notre opinion », on est moins dogmatique, on ne cherche pas à l’imposer aux autres. Ce qui compte c’est donc ce travail d’esprit critique, qui questionne ce qui est souvent pris pour évident. Le philosophe continue de se questionner et accepte de remettre en question ses idées.

=>  Il n’y a donc pas que des opinions, on peut chercher la vérité par-delà la multitude d’opinions, mais on ne peut toujours trouver uniquement des vérités et éradiquer les opinions : il faut donc apprendre à vivre avec certaines opinions, en sachant les distinguer des vérités.



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