jeudi 20 décembre 2018

Conseils de ressources pour les vacances


Philosophie

- Raison et réel
Bachelard, La formation de l'esprit scientifique
Canguilhem, Le normal et le pathologique
Monod, Le hasard et la nécessité
James, Pragmatisme

- La conscience
Descartes, Méditations métaphysiques
Sartre, L'existentialisme est un humanisme
Beauvoir, Le deuxième sexe

- Morale
Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs
Hans Jonas, Le Principe précaution

Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine (petit manuel d'éthique, très facile à lire, plein d'expériences morales)
Alain, Propos sur le bonheur (des textes très courts, entre une demie-page à quelques pages, et très faciles à lire)

- Culture
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
Levi-Strauss Race et histoire
Kant, Réflexions sur l’éducation
Rosset, L’Antinature
Freud, Malaise dans la civilisation
Freud, L'avenir d'une illusion (sur la religion)
Arendt, La crise dans la culture
Arendt, La condition de l'homme moderne

- Travail, art et technique
Baudelaire, Le peintre de la vie moderne
Paul Lafargue, Le droit à la paresse (pamphlet court et très drôle)
Simone Weil, La condition ouvrière
Gorz, Métamorphoses du travail
Meda, Le travail: une valeur en voie de disparition ? (très bonne synthèse des thèses philosophiques sur le travail et des travaux en sciences humaines)
Mauss, Les techniques du corps (petite conférence dont le texte de quelques pages est en ligne)

- Politique

Foucault, Surveiller et punir
More, Utopie
Machiavel, Le Prince

Littérature

- Conscience
Michel Tournier, Vendredi ou les Limbes du Pacifique
Michel Tournier, Les météores
Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (autobiographique)
Emmanuel Carrère, L'adversaire

- Travail
Robert Linhardt, L’établi
Zola, L'assomoir
Zola, Germinal
Paul Nizan, Antoine Bloyé

- Politique
Zola, La fortune des Rougon
Romain Gary, Lady L
Georges Orwell, 1984
Harper Lee, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur


Cinéma
- Raison et réel
Matrix
Imitation Game

- La conscience
Freud passions secrètes, Houston
La maison du docteur Edwardes, Hitchcock
M le Maudit, Fritz Lang
Sonate d'automne, Bergman
Eternal sunshine of the spotless mind, Michel Gondry
Mullholand Drive, David Lynch

- Culture
2001 L’odyssée de l’espace, Kubrick

- Politique
Orange mécanique, Kubrick
Il était une fois dans l'Ouest, Sergio Leone

mercredi 19 décembre 2018

Bilan sur le programme / Décembre


Programme philosophie Terminales ES

Notions

Le sujet (partie 2) : la conscience (chap 3 et 4), l’inconscient (chapitre 2, 3 et 4), autrui (chap 1, 3 et 4), le désir (chap 3 et 4)

La culture : le langage (chap 4), l’art (chap 4), le travail et la technique, la religion (chap 1), l’histoire (chap 2)

La raison et le réel (partie 1): la démonstration (chap 2), l’interprétation (chap 2, 3 et 4), la matière et l’esprit (chap 2 et 3), la vérité (chap 1, 2 et 3)

La politique (chap 3) : la société et les échanges (chap 1, 3 et 4), la justice et le droit, l’Etat (chap 3)

La morale : la liberté (chap 3 et 4), le devoir (chap 4), le bonheur

Repères : Absolu/relatif (chap 1), abstrait/concret (chap 2) en acte/en puissance, analyse/synthèse (chap 2), cause/fin, contingent/nécessaire/possible (chap 1), croire/savoir (chap 1), essentiel/accidentel (chap 1), expliquer/comprendre (chap 2), en fait/en droit (chap 4), formel/matériel (chap 2), genre/espèce/individu (chap 2), idéal/réel (chap 2), identité/égalité/différence, intuitif/discursif, légal/légitime, médiat/immédiat (chap 1), objectif/subjectif (chap 1), obligation/contrainte, origine/fondement, persuader/convaincre (chap 1), ressemblance/analogie, principe/conséquence, en théorie/en pratique (chap 1), transcendant/immanent, universel/général/particulier/singulier (chap 1)

lundi 17 décembre 2018

La liberté est-elle une illusion?


Les révolutionnaires français disent qu’ils se sont libéré de l’Ancien Régime, cad qu’ils ont obtenu des droits civiques leur permettant de participer à la prise de décision politique par exemple, qu’ils n’avaient pas quand ils étaient membres du Tiers-Etat. Leur gain de liberté consiste dans l’acquisition de droits. Cependant ils ne sont pas pas libres de faire n’importe quoi au sein de l’Etat : l’obtention de droits civiques se double de l’acquisition de devoirs.La liberté semble donc un idéal moral et politique à l’aune duquel on évalue une situation, individuelle ou collective : on aspire individuellement et collectivement à être libre, cad à ne pas être contraint dans nos actes.
Cette liberté est la condition qui fonde notre morale et de notre justice : c’est parce qu’on est libre d’agir d’une certaine manière plutôt qu’une autre (de tuer quelqu’un ou de ne pas le faire) qu’on peut être tenu pour responsable de nos actes et de ses conséquences. Liberté comme absence de contrainte extérieure dans nos choix = libre arbitre. Quand je suis contraint et que je ne peux me défaire de cette contrainte, je ne suis pas libre.
Quelle autre option que la liberté absolue ? Déterminisme absolu cad des causes extérieures produisent nos propres choix et sont les vraies causes de mon action. Ce ne sont pas seulement des contraintes malgré lesquelles j’agis, mais ce sont les seules causes qui produisent mon action. Ainsi, quand Zola décrit la vie de Nana, fille de Gervaise et de Coupeau, deux ouvriers qui sombrent dans l’alcoolisme et ne prennent jamais le temps d’élever leur fille, il suggère qu’elle est destinée à rater sa propre vie. Nana n’aurait pas eu le libre choix de devenir une prostituée car sa vie ne serait que le résultat de la mauvaise éducation qu’elle a reçue de ses parents.
Pourquoi la liberté serait une illusion ? On peut se croire libre alors qu’on ne l’est pas vraiment. C’est une illusion car on prend une apparente liberté (faire ce qu’on veut par exemple) pour une vraie liberté, alors que ce n’en est pas une, et qu’on se trompe ce faisant. Mais dès lors qu’on se croit libre, on ne pense pas qu’il s’agit d’une illusion. Mais alors, comment être sûr que ce qu’on croit être la liberté n’est pas toujours une illusion de liberté ? Comment savoir qu’on a enfin acquis une vraie liberté ? Il se pourrait qu’on ne puisse se défaire de cette illusion.
=> Dès lors, la liberté est-elle un idéal illusoire qui n’est jamais atteint ou au contraire une réalité bien effective qui n’a rien d’une illusion ? Comment peut-on être sûr qu’il s’agit bien d’une réalité ou d’une illusion ?

I.                La liberté est une illusion : c’est l’ignorance des causes qui nous déterminent

Il est courant de se représenter l’homme comme un agent libre, cad capable d’être la seule cause de ses actions, à l’inverse des animaux qui agissent selon leur instinct et leur conditionnement. L’homme aurait, par sa raison, la capacité de réfléchir sur ses actes, de délibérer avant d’agir et d’anticiper leurs conséquences. Ayant cette capacité de réflexion, l’homme peut alors se croire libre de ses choix, qui lui semblent être fait volontairement, et non selon des contraintes extérieures. Mais comment savoir qu’on est soi-même la seule cause de nos choix ?

Texte 1 Spinoza, Lettre à Schuller LVIII
J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même librement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité. Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvements et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut.
Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s'il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d'autres de même farine, croient agir par un libre décret de l'âme et non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne s'en libèrent pas aisément. Bien qu'en effet l'expérience enseigne plus que suffisamment que, s'ils est une chose dont les hommes soient peu capables , c'est de régler leurs appétits et, bien qu'ils constatent que partagés entre deux affections contraires, souvent ils voient le meilleur et font le pire, ils croient cependant qu'ils sont libres, et cela parce qu'il y a certaines choses n'excitant en eux qu'un appétit léger, aisément maitrisé par le souvenir fréquemment rappelé de quelque autre chose.
Spinoza répond à Descartes et toute la tradition rationaliste qui se représentent l’homme comme un agent absolument libre. Pour Spinoza, quand l’homme se croit libre, cad se représente comme étant le seul à l’origine de ses actions, et non contraint par des causes extérieures, c’est qu’il ignore les causes extérieures qui le déterminent, cad qui le poussent à agir d’une certaine façon. Ce qu’on pense être de la liberté, cad la libre détermination de notre action, masque en fait une ignorance des influences extérieures qui déterminent notre action sans qu’on en ait conscience. La seule liberté est celle de Dieu, qui est le seul à être seule et unique cause de lui-même et de ce qu’il fait. En tant que productions de Dieu, les hommes et tous les autres êtres vivants et objets sont toujours déterminés par des causes extérieures à eux.

Spinoza pour illustrer cette liberté comme ignorance des causes déterminantes prend l’exemple de la pierre qui roule en pensant qu’elle roule par elle-même : elle pense être libre de rouler car elle ne sait pas qu’elle roule parce que quelqu’un lui a donné un coup de pied pour la faire avancer, ou parce qu’elle vient de se détacher d’un rocher et qu’elle est donc mue par la force de la gravité. Son impression de liberté est une illusion car elle ne connait pas les causes qui la poussent à rouler. L’homme est semblable à la pierre car il se croit libre dans ses choix sans se rendre compte qu’il est poussé à agir ainsi selon des forces extérieures à lui et indépendantes de sa volonté. Pour Spinoza, ce sont nos désirs, « nos appétits » qui nous poussent à agir d’une certaine façon : ce sont des envies mais aussi des traits de caractère. Ainsi l’homme a conscience de ses désirs et se croit libre d’agir pour les satisfaire, sans se rendre compte qu’il est poussé par des causes extérieures pour agir ainsi et qu’il n’est pas maître de son caractère et de ses désirs.
La croyance des hommes dans leur liberté, par ignorance des causes qui les déterminent, est un préjugé dont ils ont du mal à se défaire. On a tendance à croire dans notre liberté car on a tendance à se sentir capable de maîtriser certains de nos désirs, mais cela nous empêche de voir que nous ne pouvons maîtriser la plupart d’entre eux : on a l’impression qu’on peut maîtriser notre envie de chocolat en s’en privant de temps en temps, ce qui nous donne l’impression d’avoir une volonté forte qui peut résister à des désirs, mais ce faisant on ne se rend pas compte que d’autres désirs, d’autres forces, ont une influence beaucoup plus forte sur nous, qu’on ne peut maîtriser.

Que faire dès lors que la liberté n’est qu’une illusion ? Pour Spinoza, il s’agit de comprendre nos désirs pour les accepter, mais il n’est pas possible de les transformer radicalement.

Mais les causes extérieures suffisent-elles à remettre en question la liberté ? Quand bien même on agit dans certaines conditions, dans un certain contexte, pour certaines raisons, c’est toujours nous qui agissons.


II.              La liberté comme cause rationnelle, condition de notre morale et justice

Texte 2 Kant, Critique de la Raison pure
Qu'on prenne un acte volontaire, par exemple un mensonge pernicieux, par lequel homme a introduit un certain désordre dans la société, dont on recherche d'abord les raisons déterminantes, qui lui ont donné naissance, pour juger ensuite comment il peut lui être imputé avec toutes ses conséquences. Sous le premier point de vue, on pénètre le caractère empirique de cet homme jusque dans ses sources, que l'on recherche dans la mauvaise éducation, dans les mauvaises fréquentations, en partie aussi dans la méchanceté d'un naturel insensible à la honte, qu'on attribue en partie à la légèreté et à l'inconsidération, sans négliger les circonstances tout à fait occasionnelles qui ont pu influer. Dans tout cela, on procède comme on le fait, en général, dans la recherche de la série des causes déterminantes d'un effet naturel donné.
     Or, bien que l'on croie que l'action soit déterminée par là, on n'en blâme pas moins l'auteur, et cela, non pas à cause de son mauvais naturel, non pas à cause des circonstances qui ont influé sur lui, et non pas même à cause de sa conduite passée car on suppose qu'on peut laisser tout à fait de côté ce qu'a été cette conduite et regarder la série écoulée des conditions comme non avenue, et cette action comme entièrement inconditionnée par rapport à l'état antérieur, comme si l'auteur commençait absolument avec elle une série de conséquences. Ce blâme se fonde sur une loi de la raison où l'on regarde celle-ci comme une cause qui a pu et a dû déterminer autrement la conduite de l'homme, indépendamment de toutes les conditions empiriques nommées. Et on n'envisage pas la causalité de la raison, pour ainsi dire, simplement comme concomitante, mais au contraire, comme complète en soi, quand bien même les mobiles sensibles ne seraient pas du tout en sa faveur et qu'ils lui seraient tout à fait contraires ; l'action est attribuée au caractère intelligible de l'auteur : il est entièrement coupable à l'instant où il ment ; par conséquent, malgré toutes les conditions empiriques de l'action, la raison était pleinement libre, et cet acte doit être attribué entièrement à sa négligence.


Kant répond à Spinoza : quand bien même il y a des causes extérieures qui influencent notre action, qui nous poussent à agir d’une certaine façon, c’est toujours nous, un sujet rationnel possédant une conscience et une volonté propre, qui agissons. Donc, on peut toujours nous imputer l’action et ses conséquences : c’est une condition de la responsabilité morale et juridique. C’est parce que nous agissons librement qu’on peut être tenu responsable de nos actes et de leurs conséquences.
Kant distingue les causes empiriques, qui sont les causes extérieures à nous, et les causes rationnelles, qui sont déterminées par notre propre volonté et non une quelconque autorité extérieure. Quand bien même on accepte que les causes empiriques puissent avoir une influence sur l’action, on considère quand même qu’elle est le résultat d’un choix rationnel libre d’un sujet. C’est bien notre propre raison qui a causé entièrement cette conduite, ce pourquoi on attribue l’action à son auteur. Malgré tout le contexte et les conditions de l’action, la raison de chacun est toujours libre d’agir ou non, ce pourquoi n’importe quel acte doit être attribué à celui qui l’a causé.

Mais cette liberté comme cause rationnelle elle-même absolue cad ne dépendant jamais des individus auxquels elle s’applique ? Il est parfois complexe de désigner quelqu’un comme étant la seule vraie cause d’une action quand celle-ci s’inscrit dans une chaîne d’actions et de conséquences imprévisibles (ex Breaking Bad : mort de Jane causée en partie par Walter qui cause indirectement la mort des passagers des avions qui entrent en collision en raison d’une négligence du père de Jane, contrôleur aérien).

La liberté ne serait-elle pas un principe brandi par un certain nombre d’individus pour rendre les individus responsables de ce dont ils ne sont pas et pour mieux les culpabiliser?

Texte 3 Nietzsche Crépuscule des idoles, §7 
Erreur du libre arbitre. — Il ne nous reste aujourd’hui plus aucune espèce de compassion avec l’idée du « libre arbitre » : nous savons trop bien ce que c’est — le tour de force théologique le plus mal famé qu’il y ait, pour rendre l’humanité « responsable », à la façon des théologiens, ce qui veut dire : pour rendre l’humanité dépendante des théologiens… Je ne fais que donner ici la psychologie de cette tendance à vouloir rendre responsable. — Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est généralement l’instinct de punir et de juger qui est à l’œuvre. On a dégagé le devenir de son innocence lorsque l’on ramène un état de fait quelconque à la volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée à fin de punir, c’est-à-dire avec l’intention de trouver coupable. Toute l’ancienne psychologie, la psychologie de la volonté n’existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs des communautés anciennes, voulurent se créer le droit d’infliger une peine — ou plutôt qu’ils voulurent créer ce droit pour Dieu… Les hommes ont été considérés comme « libres », pour pouvoir être jugés et punis, — pour pouvoir être coupables : par conséquent toute action devait être regardée comme voulue, l’origine de toute action comme se trouvant dans la conscience (— par quoi le faux-monnayage in psychologicis, par principe, était fait principe de la psychologie même…). Aujourd’hui que nous sommes entrés dans le courant contraire, alors que nous autres immoralistes cherchons, de toutes nos forces, à faire disparaître de nouveau du monde l’idée de culpabilité et de punition, ainsi qu’à en nettoyer la psychologie, l’histoire, la nature, les institutions et les sanctions sociales, il n’y a plus à nos yeux d’opposition plus radicale que celle des théologiens qui continuent, par l’idée du « monde moral », à infester l’innocence du devenir, avec le « péché » et la « peine ». Le christianisme est une métaphysique du bourreau…

Nietzsche s’interroge dans la Généalogie de la Morale sur l’origine de nos valeurs morales, pour montrer que notre morale n’a rien d’universel et d’immuable : elle est le produit d’une histoire particulière et de rapports de force entre individus, certains ayant imposé leurs normes de comportement à d’autres. On n’a pas toujours cherché à attribuer la faute et la responsabilité aux hommes. Pour Nietzsche, la morale chrétienne a valorisé l’ascèse, cad la discipline du corps (notamment des passions) et de l’esprit pour tendre vers une perfection, en renonçant à certains actes considérés comme des plaisirs pouvant pousser au vice, mais ce type de comportement n’a rien de naturel ou d’universel chez l’homme, il est le fruit d’une religion particulière dans un contexte historique précis.

Dès lors, l’idéal de liberté participe de cette morale singulière : les hommes ont été considérés comme libres pour pouvoir être culpabilisés, cad considérés comme coupables de leurs actes, et punis. L’idéal de liberté a pour but de mieux contrôler moralement et politiquement les individus. Nietzsche ne se demande pas si les hommes sont vraiment libres, mais affirme qu’on les considère comme libres pour mieux les contrôler.

Mais alors, la liberté est-elle un idéal vain ? Pourtant, des populations se sont battues pour leur libération et pour l’obtention de meilleurs droits (lutte contre l’esclavage, la ségrégation, les droits des femmes) de telle sorte qu’on peut dire qu’elles sont plus libres aujourd’hui, avec certains droits, qu’auparavant, quand leurs droits étaient restreints. L’idéal de liberté est-il alors totalement à rejeter ?


III.             La liberté n’est pas donnée mais un horizon à construire en situation

Texte 4 Bourdieu, Choses dites
Le propre des réalités historiques est que l'on peut toujours établir qu'il aurait pu en être autrement, qu'il en va autrement ailleurs, dans d'autres conditions. Ce qui veut dire que, en historicisant, la sociologie dénaturalise, défatalise. Mais on lui reproche alors d'encourager un désenchantement cynique. Évitant ainsi de poser, sur un terrain où elle aurait quelque chance d'être résolue, la question de savoir si ce que le sociologue donne comme un constat et non comme une thèse, à savoir par exemple que les consommations alimentaires ou les usages du corps varient selon la position occupée dans l'espace social, est vrai ou faux et comment on peut rendre raison de ces variations. Mais, par ailleurs, faisant le désespoir de ceux qu'il faut bien appeler les absolutistes, éclairés ou non, qui dénoncent son relativisme désenchanteur, le sociologue découvre la nécessité, la contrainte des conditions et des conditionnements sociaux, jusqu'au cœur du « sujet », sous la forme de ce que j'appelle l'habitus. Bref, il porte le désespoir de l'humaniste absolutiste à son comble en faisant voir la nécessité dans la contingence, en révélant le système des conditions sociales qui ont rendu possible une manière particulière d'être ou de faire, ainsi nécessitée sans être pour autant nécessaire. Misère de l'homme sans Dieu ni destin d'élection, que le sociologue ne fait que révéler, porter au jour, et dont on le rend responsable, comme tous les prophètes de malheur. Mais on peut tuer le messager, ce qu'il annonce reste dit, et entendu.
Cela étant, comment ne pas voir qu'en énonçant les déterminants sociaux des pratiques, des pratiques intellectuelles notamment, le sociologue donne les chances d'une certaine liberté par rapport à ces déterminants ? C'est à travers l'illusion de la liberté à l'égard des déterminations sociales (illusion dont j'ai dit cent fois qu'elle est la détermination spécifique des intellectuels) que liberté est donnée aux déterminations sociales de s'exercer. [...] Ainsi, paradoxalement, la sociologie libère en libérant de l'illusion de la liberté, ou, plus exactement, de la croyance mal placée dans des libertés illusoires.

La sociologie traite de l’organisation sociale et de ses évolutions. En faisant l’histoire des sociétés, elle montre qu’il n’y a pas d’organisation sociale qui serait plus naturelle (cad due à la nature de l’homme) ou nécessaire (cad qui devrait toujours être ainsi) qu’une autre. Toute forme d’organisation sociale est possible, il n’y en a pas une qui correspond plus à la nature de l’homme qu’une autre. Donc la sociologie dénaturalise l’organisation sociale, cad qu’elle montre qu’il n’y a pas d’organisation sociale naturelle, car toute organisation sociale est le fruit d’une histoire et de pratiques humaines antérieures.
La sociologie montre, à travers le concept d’habitus, comment fonctionnent les conditionnements sociaux, qui agissent comme une contrainte sur nos pratiques alimentaires ou culturelles par exemple, car ils déterminent certains possibles au sein desquels on doit faire des choix. Pour autant, ces conditionnements sociaux ne sont pas nécessaires en eux-mêmes, car ils auraient pu être différents dans un autre contexte social.
En montrant comment fonctionnent ces conditionnements sociaux, la sociologie libère de l’illusion de liberté absolue, cad de l’illusion selon laquelle on ferait des choix sans aucune contrainte, tout en donnant une autre liberté, celle de réfléchir sur ces conditionnements sociaux pour tenter de les maîtriser ou de les défaire. La liberté que nous fait apercevoir la sociologie n’est pas une liberté qui serait donnée à l’homme car il serait un être rationnel capable de faire des choix selon sa volonté propre, mais la liberté politique de modifier le monde social dès lors qu’on comprend son fonctionnement et sa possibilité d’être modifié (« ce que le monde social a fait, le monde social peut le défaire » texte final chapitre 3). Ainsi la liberté n’est pas un attribut donné à l’homme à sa naissance car il serait un être rationnel possédant une volonté, mais un horizon de l’action collective politique. C’est cette liberté qu’incarnent par exemple les combats politiques de certaines populations (noire-américaine aux Etats-Unis fin XXème siècle, féministe) pour l’acquisition de droits civiques.

Dès lors, la liberté comme absence de détermination de nos actes, est bien l’illusion que présentait Spinoza. Quand bien même nous avons l’impression que nos actes sont le fruit de notre volonté rationnelle propre, comme le montre Kant, ils s’insèrent toujours dans un contexte social qui a déterminé certains possibles plutôt que d’autres, au sein desquels nous choisissons, certes, mais sans que ce choix soit absolu, indépendant de tout contexte. Dès lors, la liberté semble plutôt être un horizon de l’action politique pour modifier le monde social, après avoir compris comment il s’organisait.

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