Eléments d’introduction
Peut-on :
-
Possibilité
épistémologique, est-ce qu’on peut émettre des jugements, descriptifs ou
normatifs, sur d’autres cultures, et à quelles conditions ?
-
Possibilité
morale et juridique : a-t-on le droit et la légitimité d’émettre des
jugements, descriptifs ou normatifs, sur d’autres cultures, et à quelles
conditions ?
Juger :
-
Juger
moralement : distinguer des pratiques culturelles bonnes ou mauvaises, voire
établir une hiérarchie entre les cultures.
-
Juger
épistémologiquement : analyser une situation à l’aune d’un principe
Les autres cultures :
Cultures : ensembles de manières d’être, de
pensées, d’habitudes, de productions d’une société. Chaque groupe humain
possède ses éléments de cultures (coutumes, lois, arts, croyances, rites) qui
fondent son identité et qui forment des systèmes symboliques susceptibles
d’être étudiés par les anthropologues ou sociologues.
-
A
un temps historique donné : les cultures d’autres pays, d’autres mœurs que
les nôtres, avec lesquelles nous cohabitons
-
Dans
un temps historique différent : les cultures de sociétés passées, que ce
soit celle de nos ancêtres ou d’autres pays
=> On
se demande s’il est possible et moral de porter un jugement, épistémologique ou
moral, sur des cultures autres que celle à laquelle nous appartenons. Cette
altérité fait voir une difficulté : de quel droit pourrions-nous porter un
jugement, descriptif ou normatif, sur une forme culturelle autre que celle à laquelle
nous appartenons ? Notre appartenance culturelle serait-elle meilleure, ce
qui légitimerait notre critique ?
I.
Le relativisme
culturel : on ne peut hiérarchiser les cultures
Première idée qui vient : relativisme
culturel, cad l’idée qu’il ne faut pas juger les cultures différentes des
nôtres car ces différences ne sont que contingentes et d’indiquent rien
d’essentiel sur l’homme, qui reste le même quelles que soient sa langue, ses
mythes, ses religions.
Levi-Strauss : « c’est dans la mesure
même où l’on prétend établir une discrimination entre les cultures et les
coutumes que l’on s’identifie le plus complètement avec celles qu’on essaye de
nier. En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages
» ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de
leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la
barbarie ». (Race et histoire, 1952).
Attitude de rejet de la différence est propre à
tous les peuples (= attitude ethnocentriste), mais on peut s’empêcher de faire
ce rejet ethnocentriste, en acceptant la diversité culturelle, qui est un
phénomène naturel, dû à la diversité des conditions de vie des hommes sur
Terre. Il ne faut pas hiérarchiser les pratiques culturelles, mais il faut
comprendre les logiques internes à chaque culture : Levi-Strauss a analysé
les mythes de certains peuples pour rendre compte de la logique de la pensée
sauvage, qui est tout aussi logique que la pensée occidentale.
Ce relativisme culturel se fonde sur
l’impossibilité de fonder la critique culturelle : De quel point de vue et
au nom de quelles valeurs, prétendument universelles, pourrait-on émettre un
jugement, descriptif ou critique, sur une autre culture ? Comment fonder
la légitimité d’un jugement sur une autre culture que la nôtre ? N’est-ce
pas toujours une culture particulière qui juge une autre culture
particulière ? De quel droit une culture pourrait en juger une
autre ?
Pb : cette idée de tolérance semble facile à
accepter en théorie, mais peut-on vraiment s’abstenir de toute condamnation
morale sur des faits qui semblent intrinsèquement choquants, car ils nient les
droits de l’homme par exemple ? Le jugement moral mais aussi politique ou
juridique peut sembler nécessaire parfois. Ex de l’excision ou de la
Shoah : condamnation morale et juridique des crimes contre l’humanité
revient à dire qu’il y a des valeurs universelles qui doivent être respectées
par toutes les cultures.
Peut-on vraiment se passer, moralement et
épistémologiquement, de tout jugement sur les autres cultures que les
nôtres ?
II.
Les difficultés du
relativisme culturel : retrouver un universel ?
Suffit-il de dire qu’on ne peut émettre de jugement
sur les autres cultures ? Quelles conséquences cette impossibilité de
jugement a-t-elle ? On se trouve face à deux difficultés :
-
Certaines
condamnations intuitives au nom de principes universels, comme les droits de
l’homme, sont empêchées : si on est relativiste, peut-on accepter qu’une
population massacre ses enfants, parce que c’est sa tradition ? Peut-on
accepter l’excision, pratiques effectuées sur des jeunes femmes sans leur
consentement, et donc bafouant les droits de l’homme, pour le simple fait de la
tradition ?
-
La
critique sociale et politique : c’est au nom d’un idéal anthropologique universel
que les philosophes peuvent critiquer une situation d’une culture à un moment
donné (More, Rousseau, Marx). C’est cette critique qui permet d’envisager de
reconfigurer autrement le monde social. Si More, Rousseau ou Marx n’avaient pas
jugé la société de leur temps, ils n’auraient pas dessiné de pistes politiques
d’amélioration. L’observateur extérieur qui juge de la situation permet de
critiquer une organisation sociale : Lettres persanes, Montesquieu
Si on veut juger, on ne juge pas d’après des
critères ethnocentristes (par référence à nos propres valeurs) mais d’après des
critères universels, qui valent au nom de l’humanité. Pb : Comment fonder
l’universalité de cet idéal ? Comment savoir que ce ne sont pas que des
normes particulières qui sont érigées en valeurs universelles pour les imposer
abusivement à des peuples qui n’ont rien demandé (colonisation) ?
Il faut bien pouvoir fonder la critique, mais ça se
fait par référence à un universel. Deux types d’universel :
-
Le
sentiment : Rousseau, pitié naturelle, voix naturelle de la morale
-
La
raison : Kant (déontologie, faire son devoir, ce qui est dicté par des
principes rationnels) et les utilitaristes Mill Bentham (utilitarisme, calculer
le bien en fonction des conséquences des actes)
Pb :
-
Le
sentiment n’est pas naturel et immuable mais varie selon les époques et selon
les cultures
-
Raison
repose sur des principes non démontrables, apparait universelle alors qu’elle
pourrait ne faire que porter des valeurs historiques contingentes (Nietzsche)
=> Aucun
critère qui permet de tenir une vraie critique ?
III.
Juger d’après un idéal
régulateur d’humanité
Peut-on abandonner toute possibilité de jugement
face à ces difficultés ? Jugements moraux dont on peut se passer, mais
jugements politiques et juridiques nécessaires.
Plusieurs solutions :
-
Considérer
qu’on ne juge pas les cultures elles-mêmes (germaniste, nippone, malgache,
hispanique, etc) mais certains faits historiques contingents (l’extermination
des Juifs par le IIIème Reich, la collaboration de Vichy, le génocide des Tutsi
au Rwanda)
-
Considérer
qu’on juge au nom d’un idéal d’humanité qu’on définit en contexte
politique : Idéal universel d’humanité comme horizon régulateur (au sens
kantien : un idéal que la raison ne peut connaître mais dont elle se sert
pour fonctionner) qui sert à réclamer des droits ponctuellement. On ne peut pas
connaître cet horizon régulateur mais il fonctionne comme le guide de l’action.
Réclamer des droits au nom d’un idéal qu’on ne peut pas fonder universellement,
mais qui a des conséquences pratiques car il permet l’obtention de certains
droits. Jugements légitimes car ils permettent d’améliorer les conditions de
vie de certains groupes sociaux.
-
Juger
le décalage entre l’engagement formel et les pratiques : Certains régimes
politiques adhèrent formellement, en droit, à certains textes juridiques comme
la déclaration des droits de l’homme, mais ne les respectent pas en pratique et
la critique vient justement sanctionner cet écart entre le droit et la
pratique : ils se sont engagés à les respecter, ils les reconnaissent
comme valeurs acceptées, mais ne le font pas effectivement, donc les critiques
à leur encontre sont légitimes.